Par Christian de Bray
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(Chapitre 1er)


Je pris mon sac à dos et avançai vers les enseignes lumineuses les plus proches. Les rouges se mêlaient aux bleus et aux jaunes. Des couleurs surgissaient dans la nuit et palpitaient selon des rythmes différents, comme des coeurs en furie.
Je me demandais ce que j'allais faire en Afrique, pourquoi j'avais choisi cette destination plutôt que la Côte d'Azur... où j'aurais pu me reposer confortablement après "toute une année de travail".

Souvent, je suis poussé par des forces que je ne comprends pas. Je prends des décisions en sachant que cela me coûtera. Ce sont les efforts que j'ai délibérément choisis, qui me réconfortent.

Mes objectifs ne sont ni trop difficiles, ni trop faciles à atteindre. J'aime le risque, mais le risque calculé. Pour progresser, il faut se fixer des objectifs qui vous aspirent vers des sphères toujours plus hautes.

Si l'objectif est trop facile à atteindre, il n'offre aucun intérêt : on se complaît dans la banalité. S'il est trop difficile, le découragement s'installe et étrangle toute envie d'action. Il faut savoir se forger un monde à sa dimension, un monde en expansion qui croît avec la maturité que l'on acquiert.

Je m'étais arrêté en face d'une immense vitrine. Des ordinateurs démodés crachaient des listings. Les pages sautaient à une allure folle. L'opérateur jouait avec son crayon en compulsant un énorme volume plié en accordéon, ressemblant à du papier à musique.

Il chassait les pages en les rejetant devant lui. Des disques tournaient en lançant des reflets couleur de miel, des bobines avançaient, puis reculaient après s'être immobilisées. L'information semblait se traiter en silence. La machine exécutait les instructions, s'arrêtant de temps à autre comme pour reprendre son souffle.

J'entrai dans un modeste hôtel.

Deux filles blondes, se tenant par la taille, passèrent en chuchotant des mots que je ne comprenais pas. Leur jupe courte laissait apparaître des jambes qu'il m'aurait été facile de cueillir à bon compte...

- Combien la chambre, pour une nuit ? Prix, registre à remplir, numéro du passeport, ... Formalités banales.

Je me retrouvai assis sur un lit dur comme je les aime. Une barre me traversait les épaules. J'avais perdu l'habitude de porter mon sac; les premiers jours sont souvent pénibles, même si le sac à dos pèse peu.

Je regardai par la fenêtre les rares voitures. La lune disparaissait derrière d'épais nuages festonnés. A la veille d'un voyage, je me sens toujours très seul. J'enlevai ma veste kaki, fumai une dernière cigarette. J'ôtai mes lunettes et m'étendis sur mon lit.

Isabelle restait présente à mon esprit. Je redessinais mentalement son visage, touche par touche, en fermant les yeux. Ma cigarette me brûla les doigts. Je l'écrasai dans le cendrier déposé sur la chaise, à portée de ma main. Je me réveillai plusieurs fois pour regarder ma montre. Elle traçait lentement ses cercles.

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