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KANAMAI

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CHAPITRE 11

Notre repas, pris sur la terrasse, fût agréable. Nous discutâmes du trajet du lendemain, des vivres qu'il nous faudrait emporter, de l'argent que nous allions devoir changer. Nous fîmes les comptes de la journée.

Jochen ne demanda combien de jours je voulais rester au Ngoro-Ngoro. Nous décidâmes d'y loger deux nuits sauf, évidemment, s'il n'y avait pas de place à l'auberge de jeunesse. Dans ce cas, nous irions à la lodge, mais pour une nuit seulement.

La seule possibilité de visiter le cratère était de louer une Land Rover. Nous nous livrions à des conjectures sur le prix qu'il nous faudrait payer, les animaux que nous pourrions filmer. Après le repas, arrosé de bière locale, nous prîmes un thé.

Le ciel était lourd, chargé d'épais nuages sombres qui se disloquaient à notre hauteur. Les dernières lueurs du soleil précisaient leurs formes festonnées. Les stridulements des grillons nous parvenaient des fourrés.

En Afrique, la nature reprend sans cesse à l'homme les espaces qu'il tente d'aménager. La lutte n'est jamais définitivement gagnée. La végétation prolifère sitôt que l'on cesse de la combattre. Quelques lucioles voltigeaient entre les arbustes, en traçant des courbes lumineuses et éphémères. Un lézard, la tête en bas, guettait sa proie. Figé dans une immobilité parfaite, il attendait que la victime - une frêle mouchette - vint se placer à sa portée. Loi du moindre effort, ruse de sioux, règle du jeu, quel était l'instinct qui le commandait ?

Le boy vint placer une lampe à pétrole au centre de notre table. Des insectes vinrent s'y brûler les ailes. Le lait était incertain, un peu sur. De minuscules fourmis noires escaladaient le sucrier, se rassasiant des grains brillants, puis s'en allaient comme elles étaient venues. Deux papillons virevoltaient autour de la lampe qui répandait une odeur de pétrole. Un coléoptère se traînait sur le sol cimenté.

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CHAPITRE 11

C'était l'Afrique telle qu'on devait l'aimer, qui s'offrait à nous. Non plus l'Afrique de Stanley et de Livingstone, mais une Afrique qui restait sauvage, encore baignée d'aventure.

Ici, nous étions plus près des espaces sauvages que des cités tumultueuses. L'électricité et l'eau courante avaient adouci le mode de vie des habitants, bien sûr, mais les hommes y vivaient encore partagés entre l'ancienne époque et le modernisme qui s'installait progressivement. Les Arushiens savaient que le confort allait prendre de plus en plus de place dans leur vie. Par ces pensées, je ne reniais pas la société à laquelle j'appartenais, cela aurait été malhonnête, mais je ne pouvais m'empêcher de penser à l'évolution folle qui nous avait embarqués dans sa course, au développement exponentiel !

L'homme se forge un rythme de vie et en devient l'esclave sans s'en rendre compte. Il crée des vagues qui entrent en résonance, qui deviennent houle, puis ras-de-marée, mais il n'est pas préparé à affronter la tempête. L'inadaptation au rythme de vie que nous nous imposons engendre des séquelles, contraint les faibles à vivre en marge d'un mouvement qu'ils ne peuvent plus comprendre. Seuls ceux qui luttent avec beaucoup de force ont un espoir. Ceux qui abandonnent le mouvement en cours de route sont voués à la solitude. Ils sont condamnés à rester sur le quai en se posant des questions. Et ne trouveront pas d'autres réponses que l'injustice et la cruauté de la société.

Je buvais un thé, épais et noir, au goût très prononcé. La douce fraîcheur du soir nous baignait de son calme. Des pensées affluaient en désordre dans mon esprit fatigué.

- Cette soirée est merveilleuse, dis-je. J'aime cette impression de solitude, ce grand silence.

 

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CHAPITRE 11

J'y trouve la récompense de mes efforts. Ces immenses étendues presque inhabitées contrastent tellement avec nos grandes villes tentaculaires, dépourvues de poésie. Je me demandais, il y a un instant, comment un homme peut vivre entre quatre murs, toute sa vie, tel un lapin enfermé dans un clapier, alors que des continents entiers l'invitent à la réalisation de ses rêves.
- Il faut croire qu'il nous est possible de rester sourds à nos aspirations profondes, me répondit Jochen, et puis, que ferions-nous dans ce petit village ? L'Arusha d'une nuit n'est pas l'Arusha d'une vie. Ce doit être lassant de vivre ici trois cent soixante-cinq jours par an. On doit s'y dessécher, tu sais. La vie doit y être monotone. N'oublie pas que les grandes villes sont des creusets, des lieux de rencontre. Les civilisations naissent dans les métropoles.
- Oui, dis-je, tu m'as dit que tu es architecte. Je comprends que tu aimes les grandes villes, mais il ne faut pas oublier que les civilisations meurent dans la bureaucratie qui naît et se développe dans ces grandes villes.
- Ce que tu me dis est vrai, répliqua Jochen.

Il demeura silencieux un moment, puis poursuivit sa pensée en disant :

- Tu sais, je continue néanmoins de croire qu'il ne suffit pas de voyager, si c'est pour retomber esclave ailleurs de ce que l'on a voulu fuir. En définitive, ce ne sont ni les grandes villes, ni les petits villages qui dessechent les hommes. Ce qui réduit la dimension d'un être, ce sont les habitudes qu'il prend, quand bien même il les prendrait en voyageant, en parcourant un de ces vastes espaces dont tu parles. Vaincre la vie, c'est créer l'original à partir de ce qui nous est offert dans le quotidien. Une note est un son banal, mais c'est à partir des sons élémentaires que le compositeur écrit son oeuvre.

C'est à partir de simples mots, plus que de leur originalité, que l'écrivain fait naître ses personnages. Je crois que les hommes diffèrent bien plus par les rapports de force qu'ils établissent entre les choses et les idées qu'ils engendrent, que par leur nature propre.

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CHAPITRE 11

- Si nous terminions cette soirée par une courte visite d'Arusha ? dit Jochen.
- Tu as bien dit "courte", dit Sybille, car je suis absolument crevée ! Tu ne demandes même pas à Isabelle si elle a encore le courage de faire cette ballade ! C'est bien l'égoïsme des hommes. Ils sont tous pareils !
- O.K., dit Isabelle, je résiste encore !

La nuit était maintenant complètement tombée. Nous nous laissâmes guider par notre inspiration. Des indigènes discutaient à la devanture de quelques factoreries encore ouvertes. Au coin d'une rue, un marchand de maïs grillait ses épis à même la braise rougeoyante. Nous restâmes un moment à l'observer. Il nous décocha un large sourire. Il se gratta la cuisse avec la baguette dont il se servait pour retourner ses épis dorés. Isabelle fronça les sourcils. Curieuse manière, en effet !

A l'écart, sous une véranda, un gosse, assis sur un tabouret, égrenait un épi chétif.

Nous poursuivîmes notre chemin. Des hindous convergeaient vers une ruelle mal éclairée. Ils étaient trop nombreux pour que leur promenade nocturne soit le fruit du hasard. Nous descendîmes cette ruelle et nous nous retrouvâmes face à un temple semblable à ceux que l'on peut découvrir dans les grandes villes indiennes. De facture récente, il dressait un dôme blanchi sous le ciel tourmenté.

Nous restâmes devant l'entrée principale, comme pris au piège, ne sachant si nous pouvions nous risquer à entrer ou si nous devions plus simplement rebrousser chemin. Une cloche sonnait. Un chant mélodieux nous parvenait de l'intérieur. Sur l'invitation d'un vieux prêtre nous pénétrâmes à l'intérieur du sanctuaire, après avoir ôté nos souliers. Les fidèles étaient assis sur des nattes, jambes croisées, tournés vers un autel chargé de guirlandes de fleurs et de lampes multicolores. Deux grandes statues coiffées de diadèmes se dressaient entre des bougeoirs, des vases et des pots chamarrés. Les visages bouffis de ces statues étaient expressifs malgré leur blancheur crayeuse. Saints de la religion catholique, ou dieux des Indes ? A s'y méprendre !

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CHAPITRE 11

Une odeur de parfum brûlé se répandait dans l'édifice. Un troisième dieu se dressait sur un piédestal, le torse et le visage disparaissant sous des dizaines de guirlandes de fleurs. A ses pieds reposaient, dispersés, des pétales de roses, un peu de nourriture et une soucoupe remplie d'eau. Ce qui frappait surtout, c'était la rutilance des couleurs et la générosité des formes, l'effervescence de cette décoration multicolore qui accaparait l'hôtel. Je me croyais face à un de ces sapins de Noël qui font le bonheur des enfants sages.

A mes yeux de profane, tout était désordre sans nom. Tout ? Non, peut-être pas. Il y avait ce chant mélodieux aux consonances lointaines, qui semblait mettre un peu de simplicité dans l'enchevêtrement des formes et des couleurs.

J'étais plongé dans mes pensées, lorsque je m'aperçus que j'étais entouré d'enfants. Un jeune indien, beau comme un dieu, distribuait des sucreries à ses camarades. Il hésita un moment quand il nous vit, ne sachant s'il devait nous compter au nombre de ses "clients". Nous reçûmes cependant notre part de friandises. Il poursuivit sa ronde en passant entre les rangs serrés.

- On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, me chuchota Jochen.

La cérémonie se termina. Le prêtre qui nous avait invité vint nous serrer la main. Il nous posa quelques questions, puis nous salua. Nous nous retrouvâmes noyés dans le flux de fidèles qui quittaient le temple. Un groupe d'indiennes nous regardèrent passer. Elles étaient très belles, dans leurs saris brodés d'or, mettant en valeur leur silhouette gracieuse et élancée.

Sybille nous proposa :

- On rentre ? Je suis fatiguée.

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CHAPITRE 11

Il n'y eut pas de réponse, nous étions tous d'accord. Lorsque nous arrivâmes en vue de notre modeste hôtel, les premières gouttes de pluie se mirent à tomber. Le contour des nuages avait disparu. Tout était maintenant grisaille et pluie. La propriétaire de l'hôtel nous attendait sur le pas de la porte. Elle nous salua.

- Pouvez-vous nous réveiller demain matin ? demandai-je.
- Je vous réveillerai à six heures. Le bus part à huit heures. Ainsi, vous aurez le temps de boucler vos bagages et de déjeuner à l'aise. Vous pourrez même faire vos provisions en attendant le départ du bus. La station est près du marché. Il vaut mieux être là une bonne heure avant le départ, ainsi vous ne risquerez pas de devoir rester debout durant tout le trajet. Je vous conseille de ne pas vous mettre trop à l'arrière, car les secousses y sont plus fortes. Installez-vous à l'avant.

Nous avions regagné notre chambre. Je me glissai dans le lit après avoir ôté mon pantalon et mon T-shirt.
J'allumai une dernière cigarette.

La porte de notre chambre était restée entrouverte. Il y avait peu de danger d'être cambriolés : la chambre donnait sur la cour intérieure, entourée de hauts murs surmontés de tessons de bouteilles. Je me relevai quand même et passai la lanière de mon appareil photo sous un des pieds du lit. Puis je glissai ma pochette contenant argent, passeport et billet d'avion sous mon oreiller.

- Faites attention à votre pognon, les copains, dis-je, on n'est pas en Suisse, ici ! En Afrique, on peut se réveiller un beau matin nu comme un ver, plumé !
- Oui, dit Jochen, et les ambassades allemandes ne sont pas généreuses pour leurs ressortissants. On a encore plus de chance quand on s'adresse à un consulat américain. Tu trouves cela normal, Michel ?
- Non, pas très, mais s'ils devaient renflouer tous ceux de ton espèce qui tombent à court de pesos, où iraient-ils ?

Isabelle enduisait ses mains de crème. Sybille se lima les ongles, puis démêla ses cheveux que le vent avait mis en désordre.

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CHAPITRE 11

La pluie tombait en traits serrés jusque sur le pas de notre porte, en faisant un bruit sec, presque métallique. Des éclairs illuminaient le ciel et les cordes d'eau transparentes. J'achevai ma cigarette.

Isabelle et Sybille accomplissaient leurs derniers rites magiques, protégeant leur beauté éphémère. Une femme reste pareille à elle-même dans le voyage comme dans la vie quotidienne. Elle ne change pas ses habitudes.

Isabelle demanda si elle pouvait éteindre. Jochen replia son journal. Elle poussa légèrement la porte afin d'étouffer le bruit de la pluie s'écrasant sur les toits, ruisselant dans les gouttières.

L'obscurité se fit. L'entrebâillement de la porte formait un rai clair, s'ouvrant sur l'ombre de la nuit. Isabelle vint me rejoindre. Jochen et Sybille chuchotaient.

- Tu ne trouves pas que c'est merveilleux ? dis-je à Isabelle, tout bas.
- Quoi, me demanda-t-elle ?
- Il pleut, je t'ai près de moi. J'ai l'impression d'avoir vécu des siècles et de me réveiller ce soir, à tes côtés, pour pouvoir te dire des phrases qui me viennent du fond des âges. Je ne croyais pas qu'une simple présence puisse me faire chanceler à ce point. Je me croyais plus fort que cela. Il y a dans la présence de quelqu'un à qui l'on tient, quelque chose de magique. Ce quelque chose de magique que les poètes ont toujours tenté d'exprimer sans y parvenir.

De longs silences séparaient mes phrases, les brisaient par endroits. J'étais maladroit. J'aurais voulu serrer Isabelle dans mes bras. J'aurais voulu l'aimer d'un amour fou, mais l'idée même de ma témérité me paralysait. Je savais qu'il aurait suffi d'un simple geste pour tout briser.

- Je voudrais te dire quelque chose, Isabelle.
- Dis toujours, me répondit-elle.
- Je crois que c'est ridicule, mais je t'aime !
- Combien ? me demanda-t-elle ?

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CHAPITRE 11

Tandis qu'elle me posait cette question, je pus apercevoir un sourire sur ses lèvres.

- Je t'aime, lui répétai-je. Aimer fort, c'est aimer moins qu'aimer, tout simplement. Sais-tu cela, Isabelle ?

Elle se rapprocha de moi et m'embrassa sur le front, sur le nez. Elle prit ma main et la serra très fort et très longuement dans les siennes, chaudes et palpitantes. Tremblait-elle ?

- Tu auras oublié tout ce que tu m'as dit ce soir dès demain, dans l'action.

- Non, dis-je, je ne crois pas. Je sens que ce qui se passe ce soir est fort, puissant, capable de changer le cours d'une vie.

- Michel, à combien de filles avant moi as-tu dit cela ? A combien, dis ?

- Je ne sais pas, Isabelle. Je ne sais plus. Et quand bien même je l'aurais dit à d'autres avant toi, qui te dit qu'aujourd'hui ce n'est pas la vérité ? Ce que l'on dit ne devient mensonge que lorsque l'on se dérobe. Je t'aime Isabelle. Pour être sincère, je t'aime ce soir, juste un peu plus qu'un peu...

- Un peu plus qu'un peu ! C'est à dire ?

- Un peu plus qu'un peu, c'est plus que pas du tout et c'est assez pour qu'une rivière devienne un fleuve qui ira se jeter dans l'océan. Laisse-moi un peu de temps pour vivre avec plus de conviction ce que je t'ai dit ce soir.

- Michel, au fond, tu ne m'as même pas dit si tu es marié. Tu pourrais l'être, après tout, et même avoir des enfants !

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CHAPITRE 11

 

- Si je te réponds que je le suis, cela changerait-il quelque chose à mon amour, à ce désir de t'aimer aujourd'hui ?

- Tu joues avec les mots, Michel. Comment pourrais-je me faire à cette idée ?

Elle n'insista pas, par décence ou par crainte de la vérité, et je ne lui répondis pas. Je l'avais rencontrée un peu trop tard, je venais de m'en apercevoir après lui avoir dit ces mots. Mais nos jeux ne sont jamais faits définitivement. On peut toujours risquer une mise quand "rien ne va plus", quand la roue tourne encore, et espérer réussir la quête.

Isabelle était-elle une simple proie ? Je ne le croyais pas. Elle m'avait posé une question et le point d'interrogation qui la suivait restait planté au beau milieu de ma vie.

- Michel, me dit-elle sur un ton très tendre, excuse-moi pour cette question brutale, je ne te la poserai plus jamais. Tu m'y répondras un jour, si tu y tiens. Je crois qu'il est temps de dormir, maintenant. Bonsoir, Michel.

- Bonsoir, Isabelle !

Elle avait gardé mes mains entre les siennes. Elles se desserrèrent légèrement comme si elle s'était endormie, mais je savais qu'elle ne dormait pas. A quoi pensait-elle ? Je sentais que mes réflexions allaient me tenir éveillé fort longtemps. Lorsqu'un sentiment commence à poindre, nous n'en distinguons pas encore l'importance; il nous faudrait pouvoir lire son épanouissement dans l'avenir pour le remarquer à ses débuts. Chaque jour, nous devons devenir différents, pour rester nous-mêmes. Ce que le quotidien nous apporte s'inscrit en profondeur, pour émerger beaucoup plus tard, alors que d'autres problèmes nous préoccupent déjà.

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CHAPITRE 11

Nous voyons autour de nous le sacré se mêler au profane, la vie s'unir à la matière, sans plus nous émouvoir, comme si tout cela nous était dû. Nous sommes aveugles. Nous restons sourds à ce qui naît autour de nous, à ce qui veut naître en nous-mêmes.

Isabelle devait s'endormir, car le rythme de sa respiration changeait progressivement. Elle se retourna et vint se blottir contre moi. Je sentais la chaleur de son corps me pénétrer.

Son souffle coulait sur mon visage. Longtemps, je restai immobile à la contempler dans l'obscurité. En cette nuit, j'aurais voulu vivre en elle pour m'oublier davantage, quitte à disparaître.

Cela m'arrivait parfois, dans des moments de folie, d'envier un être, de m'en éprendre éperdûment. Mais ce sont là des rêves ou des illusions que l'on ne peut nourrir bien longtemps, l'effervescence du rythme quotidien les efface.

Ma montre m'indiqua que nous allions bientôt basculer dans le lendemain. Il fallait que je dorme à présent, il fallait que je ramène mes pensées en leur point d'équilibre, là où elles n'ont plus la force de s'échapper. Le sommeil vint s'installer en moi.

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