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Toi, tu as crié ton prénom hier soir, quand
le taxi m'emmenait, mais je ne l'ai pas compris. Comment t'appelles-tu
?
- Michel, dis-je.
- Michel comment ?
- Michel de Montlerry.
- Comment cela s'écrit-il, demanda-t-elle, curieuse
?
J'étais toujours embarrassé quand je devais
épeler mon nom : je ne savais comment je devais faire
apparaître la particule. La plupart des gens l'écorchaient.
Parfois, je le leur faisais remarquer, mais les mêmes
fautes s'installaient toujours aux mêmes endroits. Pour
finir, j'en avais pris mon parti.
- Petit d, e. Grand m, o, n, l, e, deux r, y.
- Tu es noble, me dit-elle, d'un air qui invitait à
quelques commentaires.
- Non, dis-je, ou plutôt, si. C'est comme tu préfères.
Nous l'avons été mais nous ne le sommes plus,
à présent. En 1789... le monde a basculé,
ma famille a été dispersée en France,
en Allemagne et en Belgique. En 1914, nous nous sommes retrouvés,
par la force des choses, dans des tranchés adverses
! Pour nous dire bonjour, nous avons usé de fusils
et de grenades, plutôt que d'une simple poignée
de mains.
Nous commencions à descendre. Au loin, nous pouvions
apercevoir les sommets des montagnes. Ce devaient être
les Alpes bavaroises ou je ne sais quelles Alpes. Mais, c'étaient
des sommets de montagnes dont les pieds se perdaient dans
la grisaille de l'atmosphère.
Plus nous perdions de l'altitude, plus nous nous rapprochions
de cette plate-forme terne, de cette mer imaginaire et calme
dans laquelle nous allions nous enfoncer. Il me semblait que
nous descendions du ciel pour aller tout droit au purgatoire.
Nous pénétrâmes lentement dans ce fin
matelas de brume. Tout disparut progressivement, à
l'exception de quelques nuages que nous traversions de temps
à autres.
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