Il y a le dire.
Il y a l’écrire.
Il y a le faire.
Le faire.
Faire quelque chose qui va dans le sens de mon aspiration profonde… En serais-je capable ?
J’ai fait des milliers de kilomètres à la surface des continents et sur la mer et dans les airs. J’ai découvert l’écorce terrestre ridée, polluée, belle et majestueuse. J’y ai cheminé, sac au dos, sur la neige des cimes, et sous la pluie des tropiques. La voûte céleste me subjuguait. Dans la forêt et sur le sable, en contemplant les traînées d’étoiles, je me suis posé des questions de profane… parce qu’il arrive que les profanes se posent des questions, parce qu’il arrive, quand même, que des profanes fassent quelque chose.
Les kilomètres m’usaient.C’était l’étape spatio-temporelle.
C’était à vingt ans.
J’ai lu des récits d’hommes : Cortes, Magellan, Cook, Stanley.
C’était bien souvent des récits de conquérants. Oui, des récits de conquérants.
J’ai écouté des musiques étrangement mélodieuses ou suavement dissonantes.
J’ai eu envie de réfléchir sur moi-même.
Bref, j’ai lu et écouté et je me suis instruit en lisant des milliers de livres.
J’ai commencé à ouvrir mon cœur davantage. J’ai commencé à comprendre que sur cette écorce terrestre il y avait une fermentation humaine dont je faisais partie… Insensible aux autres, j’ai commencé à comprendre que je faisais partie d’un filet dont je n’étais qu’une maille… une maille absurde.
Mon comportement a-t-il été semblable à celuide ce singe qui a pris, pour la première fois, un galet, l’a fracassé, et s’est rendu compte que son éclat tranchant est d’une utilité immédiate ? Je crois qu’alors, j’avais commencé mon travail de compagnon.
C’était à trente ans.
Je me suis progressivement tourné vers les autres. Je dis progressivement, mais en fait cela a été assez brusque. J’ai essayé de rencontrer mon frère. J’ai essayé de partager ses angoisses. Je n’y suis pas encore arrivé. Et je crois que je n’y arriverai jamais. Mais je me demande quand…, je me demande si…, je me demande où…, je me demande pourquoi…
Et devant toutes ces questions, je me sens comme face à un précipice… très profond.
Je me perds dans le silence abyssal de tout ce qui m’appartient.
Mon aspiration est-elle l’élan d’un adolescent pressé ou une quête d’homme mûr ?
Ce parcours que j’ai accompli, l’ai-je vraiment amélioré ?
Je continue à faire des choses dont j’ai honte.
Zanzibar, 10 janvier 1989 – 6 h 30
Sur la plage, un chien court. Le ciel est chargé de nuages gris.
L’orage arrive. Des éclairs brisent de temps à autres le ciel qui s’obscurcit.
Tous les éléments sont rassemblés pour m’inciter à la réflexion et conduire ma pensée au-delà des horizons tracés.
Au-delà des horizons tracés…
Il y a le vent, l’air, qui balancent les feuilles.
Il y a les éclairs, le feu qui strient le ciel.
Il y a le sable, la terre, sur lesquels le chien court.
Il y a les vaguent, l’eau, qui viennent lécher mes pieds.
Je suis venu à Zanzibar parce que…
Je suis venu à Zanzibar parce que j’aime voyager et qu’à Zanzibar il n’y a rien à découvrir.
Donc je n’aurai pas d’illusions déçues.
C’est pour cela aussi que je suis entré parmi vous. Et si vous ne m’acceptez pas tel que je suis, je ne ferai pas un seul pas de plus. Tout simplement, peut-être, parce qu’en ce moment, je ne m’en sens pas capable.
Je suis entré parmi vous, parce que vous m’y avez invité. J’aime à le dire et à le répéter.
Votre invitation était mieux que rien. Un présage en quelque sorte, comme un oiseau blanc qui passe dans le ciel bleu.
Avec des ailes frangées de noir.
Au cœur de la quarantaine, j’avais, en ce moment là de ma vie, envie de progresser.
Et je ne savais pas quelle direction prendre. Je voulais voyager parmi les hommes plutôt que me pencher sur des systèmes. Je me demandais si j’en étais capable. Et je ne le sais toujours pas, après ces quelques marches franchies.
Il y a le dire. Il y a l’écrire, il y a le faire. Alors je l’ai fait. Je l’ai fait…
Vous m’avez dit qu’il y a un secret. Je me suis dit que s’il y a en avait un, il devait être tout aussi factice et bidon que tous les autres secrets. Secrets que se sont inventés les hommes d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui…
Et j’ai pensé à la fable du laboureur sentant sa fin proche.
J’ai saisi votre main parce qu’elle était belle et effilée, sensuelle et prometteuse. Enfin, une main à peine plus belle que toutes les autres. Je crois que nous sommes sans signification profonde sur cette écorce terrestre. Alors, pourquoi faire semblant ? Sans signification profonde mais plein d’égocentrisme et d’égoïsme. Alors si, et puisque, nous ne sommes que si peu de chose, pourquoi toute cette haine dans le cœur des hommes ?
Allez-vous m’indiquer la voie thérapeutique qui brisera mon égocentrisme et mon égoïsme ? Allez-vous délivrer à l’homme de la rue, un message qui lui permettra de briser son égoïsme et son égocentrisme ?
Le seul véritable voyage est-il celui que l’on fait en soi-même et pour soi-même ou un voyage qui montre aux autres un chemin ? Mais quel chemin ?
Le voyage du docteur Schweitzer, du Père Damien ou de Gandhi ?
Mon voyage a-t-il un sens s’il n’est pas voué à aider les autres plutôt qu’à les regarder comme s’ils étaient des poissons dans un aquarium ? Je suis venu vous dire que je ne sais pas ce que peut être le voyage. Je suis venu vous avouer que je ne comprends pas très bien ce qu’est votre ordre. Ne pas comprendre, c’est aussi une attitude respectable. Vous me l’avez dit.
Est-ce seulement essayer de se sentir plus heureux ? Chercher l’apaisement dans le regard de ses autres frères que l’on sait complices ? Que l’on a crée et modelé complices à ses côtés. Un apaisement dans un monde d’hommes qui se noient ?
Je me suis avancé, avec un ami psychanalyste, sur le chemin de la recherche intérieure. Et après quelques séances de bavardages, je me suis dit que le voyage intérieur, le seul véritable voyage, doit être fait, accompli, et, dépassé. Et dépassé…
Au-delà de l’agitation stérile du périple physique, au-delà du voyage auto satisfaisant du voyage intellectuel, et, au-delà de l’égocentrisme du voyage intérieur, il y a peut-être un voyage d’un autre type. Un voyage vers l’autre. Non pas un voyage de réflexion mais d’action réelle à mener.
Pour sauver le monde, s’il peut être sauvé.
Je voudrais aimer, mais je m’en sens incapable. Je voudrais être généreux, vraiment généreux, mais je ne sais pas donner.
Il y a dire. Il y a écrire. Il y a faire.
Je ne le dirai pas, je ne l’écrirai pas, je ne le ferai pas…
Enfin, qui sait ? Dans des pantoufles en poil de chameau, il suffit peut-être de savoir comprendre et partager le secret.
J’ai rêvé d’un monde où plus d’hommes agissaient pour défendre l’écologie avec efficacité. Parce que ce monde dans lequel nous vivons, nous le laisserons à d’autres.
Et on disait : « Ce sont eux… »
J’ai rêvé d’un monde où plus d’hommes agissaient pour défendre la veuve et l’orphelin.
Et on disait : « Ce sont eux aussi… »
J’ai rêvé d’un monde où plus d’hommes retroussaient leurs manches pour aider ceux qui en ont vraiment besoin. Des hommes noyés de faim, des hommes noyés de chagrin, des hommes noyés de…
Et on disait : « Ce sont eux encore… »
J’ai rêvé d’un monde….
Hier, je disais.
Aujourd’hui, j’écris.
Demain, je ferai.
Dire, Ecrire, Faire, Mourir…J’ai dit que je ferai.