Par Christian de Bray
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(Chapitre III)


Un policier la regardait, indifférent. Elle était squelettique et son enfant, couché sur elle, adorable. Cette scène a jeté un doute en moi. Elle a dressé un immense point d'interrogation dans ma vie. Elle a laissé une marque que le temps ne pourra jamais effacer vraiment.
- Oui, répondit-elle, je comprends.
- Quand on n'a pas vu, dis-je presque fâché, on peut comprendre. Mais, lorsqu'on a été confronté à cette réalité, on ne peut plus comprendre, on ne peut plus oublier. Je me suis promené dans des bourbiers dégueulasses et parmi des taudis à Calcutta. Les gens nous regardaient avec hostilité. Nous étions gênés d'être des humains; d'être là comme des voyeurs, en somme. J'ai vomi dans une ruelle tellement les odeurs de pourriture étaient fortes, prenantes. Tu trouves cela normal, peut-être ?
- Toute l'Inde n'est quand même pas comme cela ?
- Non, l'Inde à cent visages, comme tout pays a cent visages. Il y a l'Inde sacrée et parfumée au bois de santal, l'Inde des petits villages perdus dans la campagne, mais aussi l'Inde des grandes villes... et tout cela est si différent.

Elle m'écoutait avec attention en me regardant de biais au-dessus de ses grandes lunettes solaires qui reposaient très bas sur son nez. Cela lui donnait un air académique. J'avais l'impression de passer je ne sais quel examen sur le développement. Allais-je être "recalé" ou passer avec "distinction" ?

- Ce qui m'intéresse, dit-elle, c'est ce que tu as cherché, ce que tu as trouvé.

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