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Arrivé à l'aéroport, j'allai présenter
mon billet au comptoir de la Pan International. On pesa mon sac
: huit kilos. Mon nom apparut sur l'écran du terminal; l'employé
me délivra une carte d'embarquement. Je levai les yeux. Sur
l'immense tableau des départs, le vol était annoncé
pour 11h30. J'avais le temps de prendre un café. Je me plaçai
de manière à pouvoir observer les passants.
A peine étais-je assis, qu'Isabelle apparut. Elle portait
un jeans bleu, qui lui moulait les hanches. Sa veste entrouverte,
en jeans elle-aussi, laissait apparaître un T-shirt bleu marine.
Elle se dirigea vers moi.
- Bonjour, me dit-elle. Déjà là ! Avez-vous
passé une bonne nuit ?
- Oui, répondis-je, et vous ?
- Formidable, dit-elle. J'adore les Hilton. A peu de choses près,
ils sont tous pareils; pourtant ils ont chacun un charme très
particulier.
Elle s'était assise à côté de moi et
avait commandé un café. Le garçon qui le lui
servit était assez âgé et avait des traits épais.
Ses yeux enfouis dans une face grasse et patibulaire me firent penser
au regard d'un animal traqué. Il déposa brutalement
la tasse, sans prononcer un mot.
Un peu de café coula dans la soucoupe. Il nous restait deux
heures à attendre.
- Où comptez-vous aller ? Resterez-vous au Kenya ou allez-vous
visiter d'autres pays ?
- Je ne sais pas encore, je n'ai pas de plans. Je déciderai
au gré des circonstances, selon mes envies passagères.
J'ai toujours voyagé comme cela, je veux rester libre de
décider à tout moment où j'irai.
- Oui, mais vous savez quand même quel tour vous allez faire
?
- Non, je ne sais pas. J'ignore encore si, après Nairobi,
j'irai vers le Nord ou le Sud, vers l'Est ou l'Ouest. Je sais ce
qu'il y a à visiter au Kenya et en Tanzanie, ce qui pourrait
m'intéresser. Mais je ne veux pas organiser mon voyage. Je
crois qu'il faut garder une grande liberté de mouvements.
Réserver ses hôtels, par exemple, c'est aliéner
cette liberté, c'est lier son voyage dans le temps et dans
l'espace.
- Oui, dit-elle, je vous comprends. Je voudrais vous ressembler
ou plutôt, que mes voyages ressemblent aux vôtres. Mais
il n'en sera pas encore ainsi cette fois-ci. J'ai un itinéraire
très précis; une longue liste d'endroits à
visiter. |
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- J'ai un ami, dis-je, qui pour aller de Bruxelles à Marseille,
dresse un plan de voyage de trois pages. Il y inscrit ses étapes,
trois ou quatre pour douze cents kilomètres. Il réserve
les restaurants où il s'arrêtera. Il calcule même
les endroits où il devra prendre de l'essence !
- Vous changerez aussi, j'en suis sûre. Avec le temps, vous
deviendrez soucieux, vous aussi, de votre confort et de votre sécurité.
Je ne répondis pas. Je savais que le temps altère
l'homme, le calme, l'apaise, avant de l'anéantir...
Une voix très douce, coulant dans le vaste hall, appela les
passagers du vol à destination de Nairobi, en allemand d'abord,
puis en anglais.
De toutes parts, des gens convergèrent vers la porte d'accès.
Par un lent mouvement d'implosion, la file des passagers se forma.
Elle s'écrasait contre la barrière encore fermée.
Je n'avais gardé avec moi que mon appareil photo et un journal
de la veille. Un sac de toile d'un bleu très clair pendait
à l'épaule d'Isabelle. Elle tenait à la main
un sac de plastique transparent habillé de fleurs bleues
et rouges. Un sac indiscret.
A onze heures, un bus nous conduisit à l'avion. Le chauffeur
nous débarqua presque sous l'aile du Boeing 707.
Nous nous retrouvâmes assis à l'arrière de
l'avion, alors que les passagers du bus suivant montaient déjà
sur la passerelle.
L'hôtesse referma la lourde porte, puis nous demanda de boucler
nos ceintures. La passerelle s'éloigna, poussée par
trois hommes habillés de bleu.
Isabelle s'agrippa au siège et pâlit légèrement
en crispant ses mains sur les accoudoirs.
- Courage, lui dis-je en la regardant, étonné. |
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Un franc sourire illumina son visage. Elle était adorable.
Ses cheveux étaient retenus en arrière en queue de
cheval, par une grosse cordelière de laine bleue torsadée.
Cela lui donnait un air de petite fille sage qui a grandi trop vite.
L'avion commença à rouler. Lorsqu'il arriva en tête
de piste, il effectua une courte boucle pour se mettre en position
de départ. Par le hublot, on pouvait voir le tarmac gris
foncé strié de lignes noires.
Le décollage fut parfait. Seule une sensation de lourdeur
dans l'estomac nous indiqua que notre ascension commençait.
Dès que les lumières "no smoking" s'éteignirent,
Isabelle prit une cigarette.
- Le moment le plus désagréable est passé, dit-elle.
- Oui, dis-je, et le plus dangereux. Nous étions entrés
dans les nuages. L'avion subissait de légères secousses.
La voix du Commandant de bord nous annonça que nous allions
voler environ une heure et à une altitude de 8.000 mètres.
L'escale de Munich durerait trois quarts d'heure. Le Commandant
de bord et son équipage nous souhaitaient la bienvenue et
espéraient que notre vol serait agréable.
Isabelle me demanda :
- Savez-vous à quelle heure nous arriverons à Nairobi
?
- Oui, vers onze heures probablement, heure locale. Vous pouvez
ajouter à cela deux heures de formalités. Nous pouvons
espérer être libérés vers une heure du
matin, s'il n'y a pas de retard.
- Cela fera une longue journée.
- Isabelle, dis-je, en l'appelant pour la première fois par
son prénom, ne croyez-vous pas que nous pourrions nous tutoyer
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Elle avait, d'un brusque mouvement de la tête, rejeté
sa queue de cheval en arrière. Elle me regardait en clignant
légèrement des yeux, en plissant le front ...
- Qu'est-ce que cela veut dire, demanda-t-elle naïvement ?
Ne plus dire "vous" mais bien "tu" ?
- Oui, cela me dérange. Il me semble que je vous connais
depuis des semaines, des années.
- Ah... Eh bien soit, dit-elle, va pour le "tu". A partir
de maintenant, il n'y aura plus que des "tu".
Par la fenêtre, je voyais des villages entourés de
champs, des rivières aux courbes sinueuses et des canaux
rectilignes qui lançaient des reflets argentés. De
gros nuages blancs éclipsaient de temps à autres ce
paysage que le soleil ne parvenait pas à noyer.
- Au fait, comment connais-tu mon prénom ? Je ne me rappelle
pas te l'avoir dit !
- Je l'ai lu sur tes bagages. Il y était inscrit à
l'encre violette. Tu as une très belle écriture. J'aime
beaucoup, pour une fille, l'encre violette.
- Toi, tu as crié ton prénom hier soir, quand le taxi
m'emmenait, mais je ne l'ai pas compris. Comment t'appelles-tu ?
- Michel, dis-je.
- Michel comment ?
- Michel de Montlerry.
- Comment cela s'écrit-il, demanda-t-elle, curieuse ?
J'étais toujours embarrassé quand je devais épeler
mon nom : je ne savais comment je devais faire apparaître
la particule. La plupart des gens l'écorchaient. Parfois,
je le leur faisais remarquer, mais les mêmes fautes s'installaient
toujours aux mêmes endroits. Pour finir, j'en avais pris mon
parti.
- Petit d, e. Grand m, o, n, l, e, deux r, y.
- Tu es noble, me dit-elle, d'un air qui invitait à quelques
commentaires.
- Non, dis-je, ou plutôt, si. C'est comme tu préfères.
Nous l'avons été mais nous ne le sommes plus, à
présent. En 1789... le monde a basculé, ma famille
a été dispersée en France, en Allemagne et
en Belgique. En 1914, nous nous sommes retrouvés, par la
force des choses, dans des tranchés adverses ! Pour nous
dire bonjour, nous avons usé de fusils et de grenades, plutôt
que d'une simple poignée de mains.
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Nous commencions à descendre. Au loin, nous pouvions apercevoir
les sommets des montagnes. Ce devaient être les Alpes bavaroises
ou je ne sais quelles Alpes. Mais, c'étaient des sommets
de montagnes dont les pieds se perdaient dans la grisaille de l'atmosphère.
Plus nous perdions de l'altitude, plus nous nous rapprochions de
cette plate-forme terne, de cette mer imaginaire et calme dans laquelle
nous allions nous enfoncer. Il me semblait que nous descendions
du ciel pour aller tout droit au purgatoire.
Nous pénétrâmes lentement dans ce fin matelas
de brume. Tout disparut progressivement, à l'exception de
quelques nuages que nous traversions de temps à autres. Le
sol apparut soudainement, à la sortie d'un banc de nuages
épais dont les turbulences nous avaient secoués. Les
routes apparaissaient maintenant distinctement. L'avion perdait
toujours de l'altitude. Les ailes laissaient descendre leurs volets
de freinage.
Quelques minutes plus tard, nous touchions le sol. Quand la porte
s'ouvrit, une chaleur lourde entra dans la cabine. Deux charmantes
hôtesses de l'air nous saluèrent en nous tendant des
cartes de transit portant le numéro de notre vol.
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