Roman

KANAMAI

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CHAPITRE 13

Quand je m'éveillai, le matin était frais. Le soleil reposait sur l'horizon, emmitouflé dans la brume qui baignait la nature. La pâle clarté qu'il faisait naître irisait l'horizon, sans profondeur et sans relief.

Sybille finissait de lire "Mourir à Venise".

D'Isabelle, je ne voyais qu'un bout de nez qui dépassait d'un sac de couchage.

Jochen m'observait, pas très bien réveillé.

- Hallo, "are you fine" ? lui lançai-je.
- Yes, me répondit-il. Pendant que tu flirtais hier soir, j'ai trouvé une Land. Nous descendrons dans le cratère.
- Combien ?
- 40 dollars. C'était la dernière qui restait. Je n'ai pas eu l'occasion de discuter. "A prendre ou à laisser", m'a dit le mec.
- C'est parfait, Jochen, tu es un as ! Pour toute la journée... ?
- Non, c'était trop cher. Il m'a dit qu'un demi-jour suffisait. Il paraît qu'on va voir beaucoup d'animaux.
- A quelle heure devons-nous être prêts ?

Il regarda sa montre.

- D'ici une heure. Il viendra nous chercher à la lodge.

Le petit déjeuner fut composé de quelques bananes, d'une miche de pain et d'une boîte de sardines à l'huile que nous ouvrîmes au moyen d'une pince. Il restait un peu d'eau dans nos gourdes.

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CHAPITRE 13

Pour réchauffer nos muscles endoloris, nous allâmes jusqu'à la lodge et bûmes un thé brûlant, en attendant le guide. Il y régnait une atmosphère de grand hôtel qui-tire-de-gros-bénéfices-de-quelques-rares-clients.

De la terrasse, nous pouvions voir trois zèbres et six ou sept gazelles, fondus dans le paysage. Déjà le soleil escaladait les nuages. Ses reflets jouaient dans les cheveux d'Isabelle. Je la sentais heureuse de vivre ce moment. Nous étions deux amoureux noyés d'un amour qui resterait éternellement inachevé. Deux amoureux à qui pèse la présence des autres à leurs côtés. Nous restions encore trop sur nos gardes pour être naturels en leur présence.

- Une Land arrive, dit Sybille.

C'était un châssis court, vert, de la couleur de l'eau qui stagne. Il s'arrêta devant l'entrée de la lodge. Un homme d'une quarantaine d'années en sortit. Il était très grand et épais.

J'allai vers lui et lui demandai de nous attendre quelques instants.

- Nous sommes presque prêts, lui dis-je.

Il lançait son briquet d'une main, pour le rattraper de l'autre, d'un geste machinal. Pour lui, ces expéditions n'étaient que de la routine. Un large sourire du chauffeur qui portait un uniforme étriqué et était affublé d'un petit chapeau ridicule posé sur ses cheveux crépus; puis le bruit du moteur, une odeur fade de mazout... nous étions partis.

 

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CHAPITRE 13

D'un premier abord assez fermé, notre guide se révéla jovial à l'usage. Il nous parla de son pays, du cratère qu'il avait sillonné en tous sens, des touristes qu'il trimbalait et dont il n'entendait plus jamais parler.

- J'aime le Ngoro-Ngoro, mais je ne reste pas ici toute l'année. Je suis aussi guide au Serengeti, dit-il, d'un air fier. Vous connaissez le Serengeti ?
- Non, lui répondit Jochen, nous venons d'Arusha, mais nous y passerons demain. Nous ne nous y arrêterons

pas longtemps, car des amis nous attendent à Kampala.
- Vous allez traverser la frontière ? Ils sont sur les dents là-bas, dit-il. Du côté de Musoma, ça va encore, mais c'est surtout du côté de Bukoka que ça peut chauffer. Vous savez, entre la Tanzanie et l'Ouganda, ce n'est pas le grand amour.

Chaque fois qu'il riait, des bourrelets de graisse émergeaient de son uniforme. Son triple menton, marquant son col, vibrait au rythme de sa gorge.
Si le rire est le propre de l'homme, le sien relevait de la locomotive qui s'ébranle.

Nous avions basculé sur la pente du cratère et étions projetés vers le pare-brise. La piste était mauvaise, faite d'ornières et de cailloux errants. Le moteur freinait notre descente en gémissant. Jochen et Sybille avaient pris place derrière, tandis qu'Isabelle et moi nous accrochions à la poignée du tableau de bord. Les jambes et les bras tendus, plus que nécessaire, nous nous apprêtions à disparaître dans le trou qui se creusait toujours davantage au fil de notre descente. Nous trouvions notre seul réconfort dans ces traces que nous suivions et qui imposaient à notre logique l'existence d'une voie qui nous amènerait dans la cuvette.

Je ne me souviens pas avoir posé de questions. Peut-être avais-je peur de distraire notre chauffeur. Nous devions tous serrer les dents en récitant une prière proche de l'acte de contrition.

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CHAPITRE 13

Les hautes herbes fauves étaient parsemées de touffes noires. Des cactus s'élevaient tels des chandelles parmi les acacias clairsemés. Les ombres des nuages progressaient très lentement en remontant les pentes raides.

Nous aperçûmes des groupes d'animaux, qu'il ne nous fût pas possible d'identifier. L'étendue d'eau, qui nous apparaissait de l'auberge de jeunesse, fondit progressivement dans les broussailles.

C'était comme si, la bonde arrachée, le lac s'infiltrait dans les entrailles de la plaine, au fur et à mesure que nous descendions. Nous avions quitté notre repère pour passer cette vaste étendue au peigne fin. Notre horizon reprenait, petit à petit, les dimensions humaines qui nous étaient familières.
C'était un véritable atterrissage que nous avions accompli; atterrissage que des trous d'air auraient perturbé.

Des buffles nous observaient. Les troupeaux se dispersaient quand nous tentions de nous en approcher. Nous dépassâmes quelques antilopes aux pattes fines et à l'allure svelte et nerveuse. De rares phacochères me faisaient penser à des trolleybus : quand ils s'enfuyaient leur queue se relevait comme pour prendre contact avec des lignes électriques imaginaires.

Nous étions perdus dans cette vaste étendue. Notre progression, dans un sens ou dans l'autre, ne nous rapprochait guère des versants éloignés qui nous entouraient. Près de 30 km de diamètre !

Nous pouvions à peine distinguer la crête de ce cirque montagneux.

La brume laiteuse et les nuages dilués sur les hauteurs nous invitaient à nous plonger en nous-mêmes; à ne considérer que l'espace que nous occupions et qui nous suivait partout où nous allions.

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CHAPITRE 13

- Tu crois que nous retrouverons la sortie ? me demanda Isabelle.
- Peut-être, lui répondis-je, mais je préfèrerais ne pas la chercher à pied dans le noir !
- Brr, fit-elle, quelle horreur !

Une Land nous croisa et nous indiqua la direction dans laquelle nous trouverions les lions.

Notre guide aperçut - le premier - une lionne couchée sur une butte. Elle était élégante. Son poil fauve luisait. Elle bailla et nous pûmes admirer ses crocs. Elle léchait ses pattes de devant, s'étirait à la manière d'une chatte qui se réveille après une longue sieste. Nous restâmes un moment à contempler ce spectacle. Isabelle n'en croyait pas ses yeux. A vrai dire, je n'avais pas souvent eu l'occasion, moi non plus, d'admirer pareil animal en liberté. Jochen prit des photos. Sybille nous demanda ce que nous ferions si cette lionne venait vers nous. Nous étions à l'abri, nous n'avions rien à craindre.

Un peu plus loin, un troupeau de zèbres broutaient. Ce qui m'étonnait, c'était la coexistence pacifique de tous ces animaux. Je me représentais le lion comme la terreur de la savane. Il n'en est rien. La lionne repue ne terrifie pas à cent lieues à la ronde. Elle se leva et s'éloigna de notre véhicule, lentement, en glissant ses pas comme si elle avançait sur un tapis de haute laine.

Nous poursuivîmes notre chemin. Pour passer un gué, le chauffeur enclencha le réducteur. La Land s'enfonça dans la boue, puis franchit le lit d'eau. J'avais toujours rêvé d'acheter une Land. La progression de ce véhicule sur un terrain difficile me prodiguait une satisfaction immense. Associais-je l'effort qu'accomplissait la mécanique à un effort personnel que je n'étais pas capable de réaliser... ?

Je me souvenais de ce voyage au Sahara espagnol et en Mauritanie, que j'avais accompli quelques années auparavant avec des amis spéléologues de Louvain. Leurs Land étaient puissantes et superbes.

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CHAPITRE 13

Je me souvenais de ces dunes qu'il nous fallait franchir quand nous perdions la piste. Je me souvenais du soleil qui, le soir, venait mourir sur l'horizon, très lentement, dans une agonie poétique et colorée. Je me souvenais de ces moteurs qui peinaient pour traverser les larges stepkas dans lesquelles nous nous enfoncions dangereusement. Un détail m'avait fait rebondir dans le passé !

- Tu aimes ça, n'est-ce pas, Michel ?
- Oui, répondis-je.

Pour terminer son tour, le guide nous avait réservé un spectacle de choix aux abords du lac que nous avions aperçu des hauteurs. La petite tache irisée par les rayons du soleil était devenue une vaste étendue bleue sur laquelle évoluaient des milliers de flamants roses. La lenteur de leurs mouvements, les coloris doux de leur plumage, l'arrondi de leur cou, leurs longues pattes graciles composaient une beauté qui s'harmonisait avec le paysage qui nous entourait. Quand nous nous approchions un peu trop près des oiseaux, un mouvement d'ensemble nous avertissait que nous devions garder nos distances. Ce n'était pas un animal qui s'enfuyait, mais le groupe entier qui répondait à notre approche par de lents reculs ou des battements d'ailes, par des accumulations de détails qui signifiaient le départ.

Parfois, il arrivait qu'un groupe entier s'envole. Et ce spectacle, bien que nous privant de leur présence, était splendide à contempler. Il paraissait n'être qu'un seul geste de repli, un seul geste empreint de grâce et de dignité, d'ordre et de méthode. C'était, à n'en pas douter, dans l'amplitude du mouvement que nous goûtions cette beauté.

Un peu plus loin, quelques bouts d'hippopotames - d'où diable avaient-ils bien pu venir ? - émergeaient à une dizaine de mètres de nous. Crânes, épaules ou fesses, nous ne sûmes jamais de quelle partie de leur individu il s'agissait.

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CHAPITRE 13

- Tu crois que nous en verrons d'autres de plus près, demanda Sybille ?
- Oui, bien sûr, répondit Jochen.

Hélas, cette aventure se terminait déjà. Nous avions rejoint la piste qui nous ramenait à la lodge. Un petit vent doux, rafraîchissant, pénétrait dans la Land qui progressait sur les pierrailles. Notre guide laissa son adresse et nous demanda de lui envoyer la photo que j'avais prise de lui. Il tenait Isabelle par la taille, d'un bras, et Sybille, de l'autre.

Nous passâmes l'après-midi à nous reposer et, une fois de plus, le soleil disparut après avoir ensorcelé le paysage.

- Hé les copains, ce soir il faut aller se coucher tôt. Le bus passe de bonne heure. Il ne faudra pas oublier de se lever, sinon nous resterons bloqués ici et je voudrais déjà être à Kampala, dit Jochen. On a encore un bout de chemin à parcourir avant d'arriver à Mombasa !

A la lueur d'une lampe tempête qui nous avait été prêtée par le gardien, Sybille déballait notre souper. Quelques conserves de viande et de fromage, une miche de pain un peu sèche, une boîte de margarine; voilà qui n'était pas mal pour un repas de fortune.

Bientôt la flamme commença à vaciller; la lampe fuma, puis s'éteignit. Le repas fut terminé à la lueur de la faible clarté qui nous parvenait d'un ciel serein et étoilé. Après avoir refait nos sacs à dos, pour gagner du temps le lendemain matin, nous allâmes nous coucher. Isabelle s'était blottie dans mes bras.

Elle murmura entre ses lèvres :
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CHAPITRE 13

- Je t'avais promis de ne plus te poser de questions, mais ce que tu me caches me tourmente. Tes secrets ne sont-ils pas devenus un peu les miens, à présent ?

- Si, peut-être, Isabelle. Mais à quoi bon te confier un fardeau que je resterai, quoi qu'il arrive, seul à porter ? Que veux-tu savoir ? Les êtres sont des épouses imbibées de problèmes personnels. Quand on les écrase, ce n'est pas leur âme qui en jaillit, mais ce que renferme cette âme. Le contenant diffère toujours du contenu. Nous commettons tous des erreurs. Dans notre âme vierge, la vie inscrit ses péchés. Qu'est-ce qui te tourmente, Isabelle ? Dis-le moi, je te répondrai si tu veux, même si je risque de mutiler ce qui germe dans nos coeurs, sur ces espaces si fragiles.

- Ce que tu me caches est-il si terrible que cela ? Tu es marié, Michel ? me demanda-t-elle sur un ton de compréhension qui m'invitait à lui donner une réponse.

- Ma réponse changera-t-elle le cours de ce voyage ?

- Je ne crois pas, Michel.

- Eh bien oui, je le suis. Je me suis tu trop longtemps. Je pourrais continuer à me taire, à te laisser croire que tu es la seule fille de ma vie, mais je ne le pourrais pas. Depuis le moment où je t'ai vue dans le train, je me suis demandé si je devrais un jour te dire la vérité et comment j'y serais conduit.

- Tu ne te doutais quand même pas que j'allais te suivre ?

- Si, j'y ai pensé quand j'ai vu tes deux grandes valises rouges posées dans les filets. J'y ai pensé, puis ce rêve m'est apparu comme insensé, absurde.

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CHAPITRE 13

Quand on compose un tiercé, on a une chance de gagner. J'ai cru que j'avais aussi une chance; une chance infime, mais une chance quand même. Si minime qu'elle apparût, elle anima en moi un espoir, elle entretint une flamme. On peut jouer dans l'espoir de gagner; j'ai le sentiment d'avoir joué dans l'espoir de perdre, mais je ne sais ni qui, ni quoi.

- Tu es marié depuis longtemps ?

- Quatre ans.

- Tu as des enfants, Michel ?

- Oui, un beau petit garçon bouclé.

- Qu'est-ce qui te pousse à les quitter et à errer comme un adolescent en quête d'aventure ?

- Je veux trouver un équilibre. Le voyage m'apporte une liberté que je ne peux trouver que sous d'autres cieux, dans d'autres espaces, dans une autre atmosphère.

- Tes voyages t'apportent-ils toujours les mêmes problèmes, des filles... ?

- Non, Isabelle, je te l'ai dit. Il est difficile d'affirmer que l'on est sérieux, car on n'est jamais cru, mais...

- Si, Michel, je te crois. Vraiment. Excuse-moi. Je voulais savoir. Je regrette maintenant d'avoir été si curieuse.

Les respirations de Jochen et Sybille étaient réglées sur des rythmes différents. Celle de Jochen, plus grave, semblait venir de plus loin.

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CHAPITRE 13

- Tu voulais savoir, Isabelle. Tu m'as posé une question, je t'ai répondu. Même si demain tu me quittais, je ne regretterais jamais de t'avoir dit la vérité. J'ai toujours cru que mentir à un être qui m'aime relève de la plus grande lâcheté.

- J'aurais préféré que tu mentes, tous comptes faits, me dit-elle, d'un air triste.

- Je sais, Isabelle, dis-je. La vérité est parfois plus cruelle à supporter, au moment même, mais aurais-tu voulu que je te fasse des promesses insensées ?
Aurais-tu préféré que je t'esquisse un univers immense dans lequel nous aurions pu nous perdre, nous enivrer, alors que je suis prisonnier d'un passé que je ne saurais renier, alors que mon univers est clos. Notre réveil, le tien, le mien, n'en aurait été que plus douloureux, tu sais ! Je n'ai même jamais osé te dire que je t'aimais vraiment, car je ne sais plus où j'en suis. Vivre, c'est choisir et choisir, c'est renoncer. Si je m'étais donné à toi avec insouciance, sourire aux lèvres, je suis sûr que tu ne me l'aurais jamais pardonné.

- C'est vrai, Michel. Tu regrettes donc déjà notre rencontre ?

- Non, Isabelle, ne crois surtout pas cela. J'ai toujours été inquiet de ce qui m'arriverait un jour ou l'autre, inquiet surtout de la voie que je prendrais, à la croisée des chemins. A la croisée de tous les chemins. Quand deux êtres n'ont plus la force de s'aimer, ils vivent en danger. Même quand ils s'aiment, ils vivent encore en danger.
Rien ne peut y faire. Dans la vie, il y a des moments où l'on peut nouer au passé un avenir qui ne nous est pas vraiment destiné.

Au loin, une porte battait dans le vent. Je réfléchissais. Mes pensées allaient à la dérive. J'avais le sentiment d'être un naufragé au plein coeur de ma vie. Isabelle se blottissait contre moi. La présence de son corps m'était amère à supporter. Il m'aurait suffi de la prendre pour oublier. Peut-être imaginais-je le drame là-même où la vie voulait me conter la douceur de ces grands moments.

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CHAPITRE 13

Isabelle comprenait-elle ? Il ne me restait que le réconfort d'espérer qu'elle appréciait mon honnêteté. Si j'en avais douté, aurais-je eu la force de survivre ?

- Isabelle, lui dis-je tout bas dans le creux de l'oreille, Isabelle !
Mais je n'avais plus rien à lui dire.
- Tu sais, me dit-elle, si je te perds, je t'oublierai. Sa phrase était entrecoupée de silences lourds.

Si je te perds, je t'oublierai, comme on oublie la mort quand on est joyeux, mais la mort reste présente, même quand on l'oublie. Il y aura d'autres Ngoro-Ngoro pour toi et pour moi, nous aurons d'autres moments difficiles à passer, et je penserai alors à toi et toi à moi. Si je te perds, je ne t'oublierai jamais.

Si elle m'avait demandé à cet instant de tout quitter pour la suivre, j'aurais tout abandonné.

Au loin, la porte battait toujours dans le vent. Isabelle ne semblait plus l'entendre. S'était-elle endormie ? Une larme coulait sur sa joue.

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