Roman

KANAMAI

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CHAPITRE 15

Le lendemain matin, je partis avec Jochen en quête d'un véhicule. Nous avions décidé d'aller vers le Nord, dont on nous avait vanté les charmes. Après avoir longuement étudié les prix des différentes catégories de voitures, notre choix s'arrêta sur une Volkswagen. J'essayai de marchander quelque peu, mais sans succès. Je n'insistai pas. La voiture serait prête à dix-huit heures, nous dit-on.

Nous avions décidé de faire un tour d'environ une semaine. Le patron nous demanda où nous comptions aller. Nous lui cachâmes que nous commencerions probablement notre périple par le parc de Kidepo. C'était un parcours assez difficile et meurtrier pour les véhicules. Je déposai une garantie et obtins un reçu. Après les quelques signatures d'usage, nous retournâmes annoncer fièrement notre trouvaille aux filles. Andréa aurait voulu nous suivre, mais elle avait un travail à terminer et ne pouvait se libérer. L'après-midi, nous allâmes acheter des vivres. Un ami d'Andréa nous prêta deux bidons d'essence et une lampe-tempête.

- Ne crois-tu pas qu'il serait prudent de partir armés ? me demanda Jochen.
- Nous pourrions installer un bazooka sur le toit, lui dis-je ou, mieux encore, traîner un canon derrière nous, mais la consommation, tu y as pensé ?

Jochen ne semblait pas très satisfait de ma réponse.

- Trêve de plaisanteries, me dit-il. Et si nous étions attaqués ?
- Les risques sont vraiment infimes, tu sais. Dans cette contrée, nous ne pourrions être attaqués que par des militaires. Te sens-tu l'âme de résister à des soldats en armes ? Moi pas !
- C'est vrai, tu as raison.

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CHAPITRE 15

Isabelle et Sybille faisaient la lessive, tandis que nous examinions la carte Michelin de l'Afrique de l'Est. Nous voulions tous deux aller vers Kidepo; Jochen, par un grand axe, moi, par une petite route plus à l'Est, longeant la frontière kenyanne. Les filles nous faisaient confiance. Isabelle venait parfois se pencher au-dessus de mon épaule pour voir dans quel sens s'orientait la ligne que nous noircissions sur la carte, au fur et à mesure de nos décisions. Jochen notait les kilomètres et je faisais de rapides calculs pour suivre le coût de notre location.

Après Kidepo, nous devrions revenir sur nos pas - cela ne nous enchantait pas - et puis prendre à l'Ouest. Nous n'avions pas le choix : la vallée de Kidepo formait un cul-de-sac donnant sur le Soudan, où nous ne pouvions entrer. L'Est nous aurait reconduit au Kenya. Donc, solution logique, nous prendrions vers l'Ouest et nous dirigerions vers Murchinson.

Notre tour était donc presque bouclé. De Murchinson, nous retournerions à Kampala. Le parc national Queen Elisabeth était beaucoup trop loin pour pouvoir être inclus dans notre itinéraire. Après avoir tant rêvé devant cette carte qui étalait ses mailles serrées rouges et jaunes, nous nous sentîmes tristes de ne pas avoir plus de temps devant nous. Nous regrettions aussi de ne pas avoir une Land à notre disposition. Elle nous aurait conduits - nous en étions persuadés - bien au-delà du cercle étriqué que nous avions noirci.

Ce soir-là, après avoir été prendre livraison de notre Coccinelle, nous allâmes souper dans un restaurant luxueux. Le menu coûtait dix dollars. Nous nous offrîmes une bouteille de vin français qui nous réchauffa le coeur. Nous étions enthousiastes et le montrions un peu trop. Andréa était triste de ne pas pouvoir partager notre aventure.

 

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CHAPITRE 15

Un orchestre indigène jouait de vieux airs qui me rappelaient ceux que j'avais entendus à Stanleyville, à l'hôtel Stanley, bien des années auparavant. Les tangos succédaient aux javas et aux paso dobles. Cette atmosphère typiquement coloniale nous avait rapprochés davantage.

Pour la première fois au cours de ce voyage, j'eus le sentiment de vivre un grand moment. Pourtant, les "grands moments" ne sont souvent guère différents des autres.

Les petits détails qui s'enlacent sous nos yeux, finissent par se confondre dans notre esprit. Ils nous laissent des souvenirs que le temps rabote et aplanit. Que me resterait-il de cette soirée, si ce n'est ce sentiment d'amitié qui nous embrassait tous ?

Je ne me souviendrais plus du chemisier à col Claudine d'Isabelle, ni du goût du vin capiteux, ni des cheveux défaits d'Andréa tombant devant son visage, comme des blés cassés par la tempête, ni du bouquet de tagètes dressé sur notre table.

Mais je me souviendrais de cette soirée, comme d'une arche sous laquelle on passe et qui s'ouvre vers l'aventure.

Andréa offrit une liqueur douce aux filles et à nous, les garçons, un double cognac.

En rentrant, Isabelle s'accrochait à mon bras ou me tenait par la taille. Elle me disait des mots gentils.

 

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CHAPITRE 15

Elle était redevenue profonde. Je crois qu'elle essayait de deviner les décisions que j'avais prises au cours de ces nuits sans sommeil passées à ses côtés.

Mais je n'avais aucune idée de ce qu'il adviendrait de nous ! Il me fallait avoir le courage d'étrangler la raison au nom de l'amour. Ou l'amour au nom de la raison ? Mais qu'est-ce que l'amour et qu'est-ce que la raison ? Un homme n'est jamais tout à fait amoureux, ni tout à fait raisonnable !

Pendant la nuit, je fis un rêve. Sur un dé, une face était marquée "amour", une autre, "raison". Je lançais et relançais sans trêve ce dé. Il s'arrêtait toujours sur une des quatre faces vierges, si bien que je ne savais pas décider de la voie qu'il me fallait suivre. Le temps s'écoula. Je restais dans l'expectative jusqu'au seuil de la vieillesse. Alors qu'il ne me restait plus qu'une chance à tenter, qu'un dé à lancer, il s'arrêta sur "amour", mais il était trop tard, Isabelle n'était plus là.

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