Roman

KANAMAI

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CHAPITRE 18

Je ne retournerai jamais plus à Kipedo, à la saison des pluies. Le herbes sont trop hautes, les animaux trop rares. Je ne retournerai jamais plus à Kipedo, à la saison des pluies. Les routes sont mauvaises, les souvenirs s'enlisent.

Je ne chercherai jamais plus à revoir Kipedo. Je veux garder mes souvenirs enfouis dans leur écrin sauvage.

Entre ce ciel immense et ces herbes tendues à se rompre, j'ai rêvé d'un bonheur. Sur le chemin qui nous menait à Kananarok a surgi un obstacle, comme au fil de la vie surviennent les épreuves.

Arbre couché en travers de la route, décès qui nous frappe, tronc que l'on contourne en foulant les herbages, problèmes qui nous viennent et que nous esquivons se ressemblent étrangement.

Les sources de lumière, les objets et leurs ombres habitent notre univers. En traversant la vie, nous choisissons des matériaux, des fils et des couleurs. La navette va et vient, inlassablement poursuit sa trame. Pourtant, des reflets tristes se marquent dans l'étoffe. Le voyage laisse la porte ouverte à l'imprévu.

Comme dans un film, un arbre couché en travers de la route, un guide vêtu d'un uniforme kaki bien amidonné, un fusil cognant contre la vitre, un nez écrasé au milieu d'une face patibulaire, me rappelèrent que nous étions sur cette piste de latérite.

Les portes claquèrent. Jochen alla explorer le terrain. Puis, nous descendîmes tous pour alléger le véhicule. Je pris le volant et lançai la voiture sur l'accotement, au milieu des herbes. Nous nous retrouvâmes quelques mètres plus loin, l'obstacle franchi.

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CHAPITRE 18

Oui, il y a ce quelque chose qui me pousse à franchir la barrière quand elle n'est pas tout à fait close. Il y a ces imprévus qui m'exaltent, qui ont pour moi un parfum enivrant. C'est ça, le voyage. Faire un pas, puis un autre, puis un autre encore... Et quand on se retourne, ne plus savoir exactement par où on est passé, mais sentir qu'en soi se sont glissés des souvenirs.

Le parcours de l'homme serait-il un cheminement de solitaire ? Une route sans bornes ? Une route parsemée d'embûches ?

Nous roulions lentement, franchissions des gués ou des ponts faits de poutres posées de manière qui semblait précaire. Les herbes, très hautes en saison des pluies, masquaient le paysage. Nous aurions pu passer à quelques mètres d'un troupeau de buffles ou d'éléphants sans nous en apercevoir.

- J'en ai marre, dit Jochen, on ne verra rien ici, tu paries ? Nous sommes mal tombés !
- C'est malheureux, se plaignit Sybille, d'être venus de si loin...

Nous commencions tous à nous énerver. A l'arrière, nous étions serrés comme des sardines, avec ce guide que nous devions emmener "par prudence", nous avait-on dit, "parce-qu'on-ne-sait-jamais-ce-qui-peut-arriver" !

A Kananarok, nous nous arrêtâmes afin de nous dérouiller les jambes. Notre guide s'extraya péniblement de la voiture. Le ciel était lourd. Une petite rivière limpide sautait sur des cailloux aux arêtes tranchantes.

 

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CHAPITRE 18

D'un marécage saturé de végétation tendre s'envolèrent quelques canards sauvages. Le guide, tourné vers la montagne, urina par la très large jambe de son short, le fusil en bandoulière. Le jet, habilement dirigé, tombait sur le feuillage touffu et dégoulinait en cascade jusqu'au sol, faisant le bruit d'un jet dur et fin.

Je montai sur le toit de la voiture, en vigie. Il était impossible d'observer le moindre animal dans cette végétation que l'humidité avait rendue dense. Je pris une photo du guide avec son harnachement. Cela faisait un peu expédition dont on est revenu par miracle.

Après avoir pris le temps de photographier Isabelle et Sybille, face au marécage, nous rentrâmes à la lodge, pliâmes bagage et rebroussâmes chemin, car un nouvel orage violent s'annonçait. Nous voulions avoir quitté les lieux avant les grandes pluies, car nous risquions de rester bloqués à Kipedo, les routes étant devenues impraticables. Les ornières que nous avions rencontrées à l'aller, avaient conservé leur eau boueuse.

Nous tâchions de les éviter en roulant au bord de la piste, une roue sur le tertre central, l'autre sur l'accotement. Quelques cailloux que Jochen ne put éviter défoncèrent les soubassements de la voiture. Nous étions très tendus. Nous avions le choix entre nous enliser si nous ralentissions ou casser du bois si nous prenions de la vitesse.

A la sortie du parc de Kipedo, à côté de la plaque de signalisation "Tsé-Tsé Control", nous nous embourbâmes profondément. Je trouvai une tôle ondulée que je glissai sous une roue. Sous les autres, je fourrai des herbes arrachées le long de la route, mais en vain.

 

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Plus les roues patinaient, plus la voiture s'enfonçait dans la boue. Nous dûmes attendre du renfort.

Quelques indigènes passèrent. D'où venaient-ils et où allaient-ils en cette fin de journée ?

Ils nous aidèrent à sortir la voiture du bourbier. Les roues motrices, qui tournaient à folle allure, nous avaient maculés d'argile rouge de la tête aux pieds.

Dans la fraîcheur de la nuit tombante, une dernière boîte de limonade partagée étancha un peu notre soif. Mais la faim nous tenaillait car nous n'avions plus mangé depuis plusieurs heures. Il nous restait bien quelques vivres achetées à la lodge, mais nous ne voulions pas perdre de temps. Nous continuâmes notre route.

Près d'une rivière, à la croisée de notre route et d'un chemin, nous dépassâmes des maisons fraîchement chaulées, qui semblaient inhabitées. Sybille proposa de rebrousser chemin et d'y demander le gîte.
Les bâtisses, inachevées, devaient bien être gardées ? Oui, un indigène se dirigeait vers nous ! Un chien noir, galeux, moucheté de taches blanches, le suivait.

En quelques mots, nous lui expliquâmes notre problème : la pluie qui se préparait à nouveau, l'état de la route, notre fatigue, le chemin qu'il nous restait à parcourir avant d'atteindre Murchinson.

Il partit chercher une clef, puis nous indiqua une aile des bâtiments. Il nous demanda de ne pas faire de feu à l'intérieur des pièces. Il ouvrit l'eau, l'électricité, et nous apporta une lampe de 40 watts.

 

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CHAPITRE 18

Nos derniers biscuits, tombés sous le bidon d'essence, s'étaient ramollis et avaient une saveur désagréable. Le garde s'était éclipsé sans que nous nous en soyons aperçus. Nous dépliâmes nos sacs de couchage. Isabelle avait choisi une chambre attenant à une salle de bain et donnant sur la terrasse. J'essayai sans succès d'en ouvrir la porte-fenêtre pour faire entrer un peu d'air frais.

Nous devions probablement être dans un futur hôpital. Il me semblait étrange que les murs soient lézardés avant même que l'intérieur ne soit achevé.

Dans la salle de bain, seule la baignoire était raccordée. L'ensemble des sanitaires étaient recouverts d'une épaisse couche de poussière, une partie du platras s'étant effondrée. J'ouvris le robinet qui vibra, vrombit et cracha une eau rougeâtre.

- Elle est potable, tu crois ? me demanda Isabelle.
- Oui, probablement, mais il faut attendre un peu.

Cette eau jaillissante traçait un sillage qui

s'élargissait dans la poussière au fond de la baignoire.

Le garde revint observer ce que nous faisions, comme un enfant curieux qui épie de loin. Nous l'appelâmes et je lui donnai un paquet de cigarettes. Je lui demandai à quoi allaient servir ces bâtiments.

- C'est pour un hôpital, me répondit-il.
- Et l'inauguration, c'est pour quand ?
- L'i..... quoi ?

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- Quand va-t-il être ouvert ? lui demandai-je, plus simplement.
- Je ne sais pas. Les blancs sont partis, il y a déjà six mois. On dit que les travaux pourraient reprendre. Mais les Allemands ne reviennent pas ?
- Les Allemands ?
- Oui, ce sont eux qui l'ont construit. Vous n'avez pas vu la pancarte à l'entrée ?
- Non.
- On dit qu'il n'y a pas assez de personnel dans la région pour entretenir ces bâtiments. C'est peut-être pour cela qu'ils ont décidé d'abandonner cet hôpital.
- Il y a des villages dans les environs ?
- Trois, me répondit le garde, à quelques minutes d'ici, en amont sur la rivière.

Ainsi donc, cet hôpital ne verrait peut-être jamais le jour, faute de médecins, d'infirmières, sinon de malades!

Il commença de pleuvoir et le garde s'en alla après nous avoir souhaité le bonsoir.

La nuit fut froide. Un léger courant d'air me tint longtemps éveillé. Le vent bruissait dans les arbres, un animal hurlait dans la nuit.

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