Au plus profond de mon être,
je souhaitais qu'elle m'accompagne et ne me quitte plus une
seconde. Pourtant, je ne pouvais accepter directement sa proposition.
Ne vous est-il jamais arrivé de refuser, du bout des
lèvres, une présence à laquelle vous
aspirez profondément ? Ne vous est-il jamais arrivé
de marquer un temps d'hésitation afin que votre interlocuteur
affermisse une position qui vous convient ?
Si je jouais ce jeu, ce n'était pas par goût
du risque mais, plus simplement, parce que je pressentais
que les secondes qui passaient marqueraient ma vie en profondeur.
Je gardais le récepteur collé à mon
oreille. Ue charrette passa dans la rue, tirée par
deux boeufs blancs. Elle emportait un cochon fraîchement
égorgé. Du sang violacé pissait sur la
route. Le ciel était vraiment quelconque. Des ailes
d'oiseaux, blanches frangées de noir, parcouraient
le ciel. Je m'étais appuyé à la tablette
et sentais mon coeur cogner dans ma poitrine. Je transpirais.
Je passai ma main sur mon visage. Il piquait. C'est vrai,
je ne m'étais pas rasé.
- Michel, Michel, tu es toujours là, dis ?
- Oui, Isabelle, bien sûr.
- Tu as entendu ce que je t'ai dit ?
- Oui... tu veux venir avec moi.
- Oh, Michel, je croyais que tu serais enchanté, que
tu sauterais de joie. Si c'est tout le cas que tu en fais
!
- Isabelle !
- Eh bien quoi, parle. Tu peux toujours dire non, tu sais.
Ce n'est pas pour cela que je t'en voudrai. Nous ne nous reverrons
plus, et puis... et puis, c'est tout.
Nous étions tous deux suspendus au-dessus d'un précipice.
Un simple mot et une chute vertigineuse commencerait.
J'imaginais sa tête légèrement penchée
et ses cheveux noirs, comme une vaste cape, recouvrant le
récepteur. J'imaginais ses yeux brillants et souriants,
ses lèvres fines peut-être légèrement
surchargées d'un rouge sombre et mat.
- Isabelle, je voudrais te serrer dans mes bras, mais...
mais ton voyage organisé ?
- Je l'ai décommandé, Michel. Quoi que tu décides,
rien ne me fera plus changer d'avis à ce sujet. |