Mes ablutions terminées,
j'essuyai mes mains aux revers de ma veste. Si mon directeur
me voyait, en croirait-il ses yeux ?
Ces gestes dissonants exprimaient une liberté totale,
que je ne pouvais trouver dans ma vie quotidienne. Je faisais
éclater les carcans et je me sentais vivre. Adieu chemises
venant de chez le blanchisseur, cravates de soie, costumes
de bonne coupe, chaussures de cuir souple,... tout cela faisait
partie de cet autre mode d'existence qui me martyrisait onze
douzièmes de l'année et que je voulais, ici,
à tout prix, oublier.
Quand je rentrerais à Bruxelles, je retrouverais mes
vêtements rangés. En ouvrant la porte du placard,
je sentirais l'odeur du linge frais se mêlant au parfum
de lavande.
Je retournais, en pensée, à des milliers de
kilomètres. L'homme veut toujours être ailleurs.
Il veut déployer son existence en dehors des limites
spatiales et temporelles qui lui sont offertes. Nous ne consacrons
jamais assez à ce présent qui nous voit naître,
vivre et mourir. Le bonheur ne se trouve pas ailleurs que
dans le moment qui passe. Le savoir est une chose, et le vivre
en est une autre.
- Tu rêves, Michel ? Tu dois être un grand distrait.
- Oui, répondis-je en m'asseyant sur une marche de
l'escalier, c'est vrai. Je pense à l'éternel
que nous allons chercher très loin, à l'autre
bout du monde. Il y a des gens qui se contentent de leur imagination.
Nous, nous partons vraiment. Rien ne nous semble impossible.
Serons-nous plus heureux pour cela ?
- Peut-être, me répondit Jochen, tandis qu'il
essayait d'enfiler une de ses hautes bottes. Peut-être,
car nous découvrirons, par expérience, que l'éternel
n'existe pas. Nous pourrons...
Son pied glissa dans la botte d'un seul coup, et ses doigts
lâchèrent prise. Il se redressa et frappa son
talon sur le sol, deux ou trois fois, très fort, afin
que son pied y prenne place confortablement.
... nous dire que nous avons cherché cet éternel
dans les réalités des pays que nous avons traversés.
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