- Je n'ai pas dit cela. Je
crois qu'il y a une force qui conduit la vie, une force qui
la maintient en ordre, en équilibre, qui la mène
vers des niveaux de plus en plus élevés de conscience.
Le chaos est l'exception. Je crois que nos vies s'acheminent
vers la paternité qui transcende les choses et les
êtres. Peu importe, après tout, le nom dont on
affuble cette réalité. Nous émergeons
sans cesse plus près d'elle. Nos efforts entretiennent
un flambeau que nous nous transmettons de génération
en génération, et qui éclaire des horizons
de plus en plus vastes. Notre refuge n'est pas en cette lumière
que nous faisons naître, il est parmi les espaces, toujours
plus vastes, que nous éclairons.
C'est une image, bien sûr, dis-je comme pour m'excuser,
mais je crois qu'il ne faut jamais aimer une chose pour elle-même,
mais pour ce qu'elle nous apporte. La vie m'apporte la certitude
que la mort n'est pas un trou dans lequel nous sombrons. Elle
est un chemin qui nous conduit vers un autre univers, comme
la rivière vers l'océan. Elle est une vérité
qui nous aveugle, tellement immanente que nos sens n'en perçoivent,
au cours de notre existence, que les ombres et les reflets.
Les philosophies ne changent rien à ce qui est; elles
n'esquissent tout au plus qu'un mode de vie. Elles nous préparent
à traverser, avec plus ou moins de sérénité,
la distance qui relie, temporellement, les deux bornes de
notre existence. Notre esprit, comme un éventail, peut
s'ouvrir plus ou moins fort, il peut brasser plus ou moins
de réflexions, nourrir plus ou moins d'idées.
Je crois que, face à la mort, nous n'existons vraiment
que dans la mesure où nous déployons une pensée
et une action conformes l'une à l'autre Nous devons
"bonifier" le monde de notre apport, si modeste
soit-il.
Il se faisait tard. Isabelle, tout en m'écoutant,
était restée silencieuse et contemplait le fond
du cratère, béant à nos pieds. La nuit
rendait ce gouffre plus mystérieux encore. Je ne crois
pas qu'elle partageait ma théorie dans sa totalité.
Mais, ce soir, je n'avais plus envie de parler, aussi son
silence m'agréait. Je lui avais confié le fruit
de quelques réflexions qui m'étaient venues
au cours de mes voyages. Je n'avais pas souvent l'occasion
de m'ouvrir, car on ne peut se confier qu'à quelqu'un
qui sait écouter.
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