Un orchestre indigène
jouait de vieux airs qui me rappelaient ceux que j'avais entendus
à Stanleyville, à l'hôtel Stanley, bien
des années auparavant. Les tangos succédaient
aux javas et aux paso dobles. Cette atmosphère typiquement
coloniale nous avait rapprochés davantage.
Pour la première fois au cours de ce voyage, j'eus
le sentiment de vivre un grand moment. Pourtant, les "grands
moments" ne sont souvent guère différents
des autres.
Les petits détails qui s'enlacent sous nos yeux, finissent
par se confondre dans notre esprit. Ils nous laissent des
souvenirs que le temps rabote et aplanit. Que me resterait-il
de cette soirée, si ce n'est ce sentiment d'amitié
qui nous embrassait tous ?
Je ne me souviendrais plus du chemisier à col Claudine
d'Isabelle, ni du goût du vin capiteux, ni des cheveux
défaits d'Andréa tombant devant son visage,
comme des blés cassés par la tempête,
ni du bouquet de tagètes dressé sur notre table.
Mais je me souviendrais de cette soirée, comme d'une
arche sous laquelle on passe et qui s'ouvre vers l'aventure.
Andréa offrit une liqueur douce aux filles et à
nous, les garçons, un double cognac.
En rentrant, Isabelle s'accrochait à mon bras ou me
tenait par la taille. Elle me disait des mots gentils.
|