Le mariage en est un bel
exemple. A vingt ans, on s'aime follement. A trente, on se
demande comment on a fait ce choix. Les êtres évoluent
de manière très différente. Les liens
qui les unissent se relâchent, s'usent puis disparaissent.
L'évolution se poursuit, inexorablement. Deux bouchons
que l'on lance dans une rivière finissent par rejoindre
l'océan, mais ils ne franchissent pas nécessairement
les obstacles de la même manière.
Le boy vint débarrasser notre table. Au loin, les
lumières s'étaient éteintes. Une Land
arriva à la lodge. Les portières claquèrent
et des voix nous parvinrent, troublant le silence. Un soldat
franchit le seuil de la porte, un fusil à la main.
Une cartouchière défaite pendait à son
épaule. Son chapeau à la "Baden-Powell",
rejeté en arrière, lui donnait un air très
sérieux. Il avait probablement fini son service et,
avant de rentrer chez lui, buvait un whisky. Le chien de la
lodge passa. Il lui asséna un coup de crosse dans les
côtes. L'animal poussa un cri aigu et s'enfuit dans
la nuit. Le soldat riait aux éclats. Il y eut quelques
insultes échangées entre le boy et le soldat,
puis le calme revint. La fatigue se faisait sentir. Nous avions
fait une étape difficile sur une très mauvaise
route et un mal au dos ne m'avait pas quitté.
- Si nous allions nous coucher, Isabelle ?
- O.K., dit-elle, j'allais justement te le demander.
Notre chambre était sévère, mais propre.
Deux grands bassins blancs émaillés et deux
cruches remplies d'eau avaient été déposées
sur une table métallique, pour notre toilette du matin.
Au-dessus de nos lits, pendaient de hautes moustiquaires d'un
blanc fané. Elles étaient trouées en
de nombreux endroits.
Je pris un essuie de toilette dans mon sac à dos. Dans
sa boîte de plastique, mon savon était devenu
gluant. Isabelle ôta son chemisier en me tournant le
dos. Je me glissai derrière elle et l'embrassai dans
le cou. Elle se retourna et me tint dans ses bras, la tête
posée sur mon épaule, ses cheveux défaits
pendant dans mon dos. Son parfum, légèrement
altéré par la transpiration de la journée,
me livrait sauvagement son corps ambré.
Il n'y eut plus d'avant, plus d'après. Rien que des
caresses et des baisers perdus. Des baisers auxquels je m'accrochais
en fermant les yeux. Puis il y eut ce besoin d'aller un peu
plus loin; un peu plus loin que je ne le souhaitais.
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