fétu suit la pente du cours d'eau, rebondit sur une
bosse, franchit une crevasse...
Le courant change, se ralentit par endroits, s'accélère
quand les rives se resserrent, pour enfin venir se déverser
librement dans un plus grand volume... un lac... un océan.
Tant que vous êtes dans ce courant, vous ne connaissez
pas de liberté. Une dimension différente
ne s'ouvre que lorsque ce courant prend fin. Non pas
que vous quittiez ce courant, mais il cesse, tout bonnement
pour vous d'exister.
La fin sans motif, voilà tout le sens de vivre et de
mourir.
Les racines du ciel sont dans la vie et la mort.
Le dernier voyage est le voyage éternel. Tu as
franchi ce long tunnel que nul ne peut esquiver, pour
aller d'ici à là-bas.
La mort est inévitable pour nous tous,
on ne peut y échapper.
On essaie de trouver toutes sortes d'explications,
de s'accrocher à toutes sortes de croyances dans l'espoir
de la dépasser, mais quoi que l'on fasse, elle est
toujours là.
Il est nécessaire de prendre conscience de cette réalité.
Mamy, ma mamy
Mamy de Claudine
Mamy de Christine et Michel
Mamy de Didier, de Pomme et de Julie
Mamie de tant d'amis et d'amis de nos enfants
Mamy de tant de souvenirs
Mamy d'Abolens...
Si Dieu existe, j'irai lui dire que son monde
est trop souvent mal fait. Trop souvent !
Des enfants qui naissent sans bras, des enfants qui meurent
de faim, des hommes qui s'entretuent pour des chimères,
pourquoi... et des Mamys qui meurent après d'horribles
souffrances...
Il y a des jours où l'on est plein
d'espoir, au printemps, quand les bourgeons éclosent.
Aujourd'hui, pour nous tous, c'est la désespérance.
Je me souviens de cette photo de toi, à
Paris, au pied du Sacré-Cœur... Tu avais 20 ans.
Alors, tu étais belle, pleine de jeunesse et de joie
de vivre.
Je me souviens, quand j'étais haut
comme trois pommes et que nous habitions Ways, dans une grande
propriété entourée de murs. Chaque
matin tu partais au travail, vers ton magasin de Namur.
Déjà, c'est toi qui nourrissais notre famille,
au sein de laquelle, par amour et par devoir, tu avais recueilli
ta sœur.
Alors, face aux responsabilités, tu avais décidé
du chemin que tu prendrais.
Là où il y a de la volonté...il y a un
chemin.
Je me souviens. Un peu plus tard, tu
quittais tout pour te lancer dans la grande aventure du Congo
belge. Pleine d'espoir et pleine de devenir. Tu
rayonnais, tu allais conquérir le monde.
Alors, tu étais avide de te réaliser et toujours
pleine d'ardeur. Oui, toujours pleine d'ardeur.
Quelques temps après, tu devais te
résoudre à quitter la plantation et à
aller gagner ta vie à Stanley ville. Je restai
avec mon père. Et tu m'envoyais, dans la brousse,
de gros paquets de chocolats, que je comptais et rangeais
avec soin. Je jouais au magasin.
Alors ton instinct maternel parlait mais, trop jeune, je ne
comprenais pas (pas encore) que ta main n'avait jamais cessé
de tenir la mienne.
Je me vois à Stanley ville avec ta
sœur. Tu travaillais comme comptable et secrétaire
d'un homme qui allait devenir mon oncle. Tu avais ta
petite voiture. Tu t'étais déjà
fait de nombreux amis.
Alors, tu étais fière d'avoir, toute seule,
reconstruit ton existence.
Je me souviens, tu as monté ton entreprise
de confection. Une quinzaine d'ouvriers cousait, piquaient,
surfilaient. Tu faisais de la prospection, tu préparais
le travail, tu donnais du travail à tes ouvriers, tu
le contrôlais. Tu achetais, tu vendais, tu comptais...
Alors, tu étais la mère chef d'entreprise.
Puis un jour, tu as rencontré au bord
du fleuve une femme qui deviendra une grande amie.
Quelle complicité entre Henriette et toi !
Alors, tu étais pleine d'intuition et de perspicacité,
sentant le chemin à suivre. Tu as quitté
cette colonie qui partait à la dérive et, une
fois de plus, tu es repartie à zéro, remettant
sur le métier ton ouvrage.
Des fleurs en plastique que tu vendais à
des boutiques, un nettoyage à sec dont les vapeurs
de perchloréthylène t'incommodaient, un magasin
qui sentait bon tous les matins le café torréfié,
des restaurants dont les chefs nous soignaient aux petits
oignons... et même de l'immobilier, où tu m'as
précédée.
Alors, tu étais besogneuse, tu étais battante
pensant plus à m'élever qu'à ton propre
plaisir et à ton confort.
Et puis..., eh bien, je me souviens de ce
jour où tu as, pour la première fois regardé
Abolens que te présentais comme une sorte de royaume,
et dont tu allais effectivement devenir la reine.
Te doutais-tu, à ce moment là, tout ce que cela
représenterait de sueur, de poussière, de givre,
de gel, de chaleur et de peine ( ?), mais aussi de joie ? Te
doutais-tu, à ce moment là, que nos enfants
y grandiraient sous tes yeux ? Que tant d'amis y viendraient
?
Pendant tellement de mois, de saisons, d'années,
tu nous y as attendus chaque week-end pour nous donner le
meilleur de toi-même.
Et nous avions tous hâte de t'y retrouver. Etés
comme hivers ; printemps comme automnes.
Aujourd'hui, pour nous tous, c'est la désespérance.
Pourtant...
Quand nous enfoncerons une bêche dans le jardin
Quand nous verrons éclore un bourgeon
Quand les premières roses fleuriront
Quand nous apercevrons un tango quelconque se faufiler
Quand un balou aboiera
Quand un autre Unimog arrivera ou repartira
Tu renaîtras, chaque fois, en tant d'endroits dans cet
espace infini en Julie et en d'autres petits enfants à
venir.
Ils sauront que là vivait une merveilleuse Mamy, qui
nous aimait et que nous aimions.
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