Albanie
Je pensais aux longs défilés sur
la Place Rouge, aux véhéments discours
de Fidel Castro, à cette ville triste de
Berlin d’avant la chute du mur, aux abords
du musée Pergamone, et à bien d’autres
endroits dont j’avais rêvé
ou où j’avais été…
J’avais décidé de choisir
un pays ou peu de touristes vont, à l’écart
des routes déferlantes. Pourquoi pas une
petite île perdue au milieu de l’océan
? Un rivage où n’accoste jamais aucun
navire, ou presque…
Et chaque jour j’allais boire une «
blanche » au petit café en face de
chez moi…Café tenu par des Albanais…
« Pourquoi pas l’Albanie ? »
C’est un peu comme cela que j’ai choisi
beaucoup de mes destinations de voyage. Mais je
n’étais pas encore vraiment décidé…
Je me présente donc à la porte
de l’ambassade d’Albanie, rue Tenbosch,
à Bruxelles. Un écriteau, collé
à la fenêtre, dans un sabir indéchiffrable,
indique-t-il que l’ambassade a déménagé
? Un bloc de quatre sonnettes ne renseigne aucun
service… Je vois un peu de lumière
filtrer à travers le verre dépoli
de la lourde porte en fer forgé…
Je sonne au bouton inférieur sensé
être le rez-de-chaussée… Après
un deuxième essai une voix me parvient…
« C’est pourquoi ? » J’explique
que je suis un touriste bien décidé
à visiter l’Albanie… Attendez
sur le trottoir, me dit la voix, au fort accent,
je vous apporte la documentation…
Et c’est ainsi que la porte s’est
entrouverte et que j’ai reçu un sachet
contenant quelques prospectus touristiques et
une carte du pays. Ouf, je savais maintenant tous
les endroits à éviter !
Et c’est ainsi, aussi, que je me suis décidé
à visiter l’Albanie, étant
convaincu qu’après un pareil accueil
peu de touristes iraient plus loin !
Albanie, t’aurai-je imaginé sur
la mappemonde ? Aurais-je trouvé ta trace
que je ne m’en souviendrais plus ! Albanie,
quand j’allais en Grèce je te contournais…
quand j’allais en Turquie, de même,
je te contournais… Aurais-je imaginé
pouvoir, un jour, te pénétrer ?
Premier contact… ton aéroport est
fort petit mais très moderne… La
file est fluide.
On me livre une voiture louée pour quatre
jours à un prix tout à fait normal.
Une petite Chevrolet flambant neuve, si petite
et si peu haute sur pattes ! On fait l’inventaire
des griffes laissées par les clients précédents…
et me voilà parti, mais pour où
exactement ?
Si je mets tout au singulier c’est uniquement
pour des raisons d’accord de pluriel. Ce
qui est singulier dans cette aventure ? C’est
que je suis parti, pour la première fois
de ma vie, avec un ami avec lequel je n’avais
jamais voyagé.
Albanie, voyage sans carte ? Le Nord ou le Sud
? L’Est ou l’Ouest ? La côte
ou la montagne ? Les villes ou les petits villages
? La poussière ou les rivages ? La mafia
ou les simples paysans ?
Albanie montre toi telle que tu es… et
conte-moi tes forces et tes faiblesses…
Mais que penser de tous ces visages voilés
et de la grande majorité de toutes tes
femmes absentes et cachées… ? Le
soir, dans la ville, des centaines d’hommes
se promènent en se tenant, peut-être,
par la main et en chuchotant des histoires d’hommes.
Mais où sont toutes les belles filles,
ces Albanaises, auxquelles il m’a semblé
avoir rêvé juste avant mon départ
? Albanie, pays musulman !
Je n’avais pas bien compris !
Albanie, pays ou les distances sont courtes mais
les routes très longues…
Septante kilomètres, cinq heures de bosses
et de fosses, et la petite Chevrolet soupire et
parfois gémi. Combien de véhicules
avons-nous croisés ? Trois ou quatre sans
compter ceux aux abords des villes de départ
et d’arrivée. Nous louvoyons entre
les cîmes enneigées que parfois nous
approchons d’un peu plus près.
Albanie, je me souviendrai de tes pins qui laissaient
rouler leurs pommes sur notre chemin au gré
du vent, et de tes ânes qui braiaient pour
se rappeler à leurs congénères.
De toute cette poussière que nous soulevions
sur notre passage…
Mais Albanie, je me souviendrai aussi de ton
accueil, de tes repas généreux et
bien servis, de tes beefsteaks grillés,
des chambres luxueuses surplombant les vallées…
et de toutes ces conversations que nous avons
dû nouer avec nos mains…
Albanie je me souviendrai aussi de tes milliers
de « squelettes » d’immeubles
traînant dans tous les coins… je ne
veux rien savoir de ton histoire… parce
que « hic et nunc »… rien ne
m’importe plus que de te voir sans trop
essayer de comprendre comment tu en es arrivée
là ! Mais on m’a dit qu’un
autre de tes séismes plus récents
avait été la bourse et l’immobilier
!
Les tsunamis sont d’hier, d’aujourd’hui
et de toujours.
Albanie, ton peuple est pauvre mais courageux.
Il frappe à la porte de notre communauté.
Tu n’es pas le plus beau pays du monde mais
ta population n’a rien à envier à
toutes celles que j’ai ailleurs croisées.
Pays traversé en flèche, trop vite,
authentique…
A l’aéroport on inspecte la carrosserie
de mon véhicule et on me fait remarquer
qu’il y manque quelques griffes. Je devrai
donc rendre des comptes !
Albanie…
…à bientôt
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