Nous dépassons
Ollantaytambo et poursuivons notre route en direction
de Quillabamba. Cette ville semble être
le bout du monde sur les cartes, et la route rouge,
sinueuse cède le pas au tracé bleu
et fin de la rivière mystérieuse,
tranquille, puis majestueuse. C’est cette
rivière qui s’élargit sans
cesse, traverse tout le continent et va se jeter
en son embouchure, en des dizaines de kilomètres
de large, dans l’Atlantique.…
A une trentaine de kilomètres
de Quilabamba, à Santa Maria, nous nous
arrêtons pour demander notre chemin…
Santa Teresa… « por favor !... »
…
Nous prenons la petite route
indiquée. Empierrée, rocailleuse
par endroits, pleine d’ornières à
d’autres, étroite, qui monte vertigineusement
vers les nuages, frôlant ça et là
quelques petits villages.
Sur les accotements, les « campesinos »
ont amené le produit de leurs récoltes
: citrons verts, pamplemousses et oranges principalement.
Mais, aussi, beaucoup de sacs de café attendent
le prochain camion…Le café le meilleur
du pays, dit-on !
Il nous faudra quatre heures
pour parcourir les trente kilomètres et
arriver, enfin, à ce petit village de l’autre
côte de la vallée, que l’on
apercevait, à peine, entre quelques nuages.
Une église, pas de Plazza de Armas, quelques
échopes, et un seul hôtel…
pas de choix….Quelques chambres, on ne peut
plus rudimentaires, donnent les unes sur les autres.
Un interrupteur pend au beau milieu de notre local…
Oublions la salle de bains et contentons nous
d’un lavabo dans le W.C collectif…..
! L’électricité arrive à
19 heures.
Mais l’important est ce
qui va suivre et qui devrait vous donner envier
de partir ou repartir au Pérou........
On avait appris, quelques jours
auparavant et par hasard, que de ce village, Santa
Teresa, on pouvait rejoindre Macchu Picchu, autrement.
Autrement ! Autrement ?
Nous partons de bonne heure et
remontons par un petit sentier la vallée
qui suit l’Urubamba. Nous marchons pendant
près de deux heures en longeant l’eau,
parfois de près, parfois de plus loin,
dépassons un village, une bananeraie…
quelques poulets chétifs qui picorent ça
et là…. Nous arriverons, comme prévu,
au lieu de passage de la rivière…
Comme sur le Chemin de l’Inca, un câble
d’acier, sans haubans, tendu, véhicule
un chariot où l’on s’assied,
un simple chariot suspendu par deux roulettes.
A la force des bras il faut se haler sur l’autre
rive. Un cordage se dévidant par l’arrière
permet au suivant de rappeler la nacelle.
Le passage effectué, nous
attendons le camion qui fera cinq kilomètres
jusqu’à la dernière gare de
la ligne du Macchu Picchu. Le camion emprunte
le tronçon de route qui subsiste. Le trajet
est gratuit…
Le gouvernement a mis ce camion
à la disposition des autochtones après
le désastreux passage de « el Nino
» en 1997. C’est ce typhon qui a endommagé
une partie de la ligne de chemin de fer, dans
la vallée. Nous arrivons à la station
hydroélectrique, terminus de la ligne…
A quatre heures précises, le train, dit
des « campesinos », nous conduit à
Aguas Calientes, à la porte de ce site
mondialement connu, découvert en 1911 par
Hiram Bingham, site classé patrimoine mondial
de l’humanité : Macchu Picchu.
Nous retournerons le lendemain
par le même chemin pour récupérer
notre véhicule de location, resté
au village.
Cette approche du Macchu Picchu
nous a permis de nous mesurer un peu à
cet inconnu qui reste encore à découvrir.
En marchant sur le ballast de la voie ferrée
nous nous demandions si nous arriverions…si
de méchants bandits n’allaient pas
surgir des fourrés…Etions-nous des
Tartarin de Tarascon… ?
De nombreuses informations et
conseils nous avaient effrayés avant notre
départ. Que ce soit dans les guides, ou
sur Internet, nous trouvions des propos pouvant
laisser croire que le Pérou était
resté un pays dangereux et que «
Les Sentiers Lumineux », par exemple, pouvaient
encore y opérer.
Sans avoir parcouru ce pays de
fond en comble, nous y avons conduit notre véhicule
de location, sur près de 4000 kilomètres,
sur des chemins décrits comme impraticables
et n’étant pas censé exister,
puisque non renseignés dans les guides.
Partout dans les villes, les villages et les campagnes,
nous avons trouvé un accueil chaleureux
et des sourires d’enfants radieux :.
Retourner dans ce pays après
une aussi longue absence, de près de quinze
ans, et découvrir que rien n’y a
vraiment changé…est un peu décevant.
La même pauvreté générale,
la même pauvreté souriante dans les
petits villages, les mêmes paysages merveilleux,
parmi les plus beaux du monde, les mêmes
marchés locaux, mais avec un peu moins
d’habits traditionnels qu’autrefois.
Les routes de ce pays sont parmi
les plus belles du monde, sinueuses et poussiéreuses,
vertigineuses, se faufilant entre montagnes et
ciel, passant de versants en versants par des
vallées toujours plus hautes, dépassant
bien souvent les 5000 mètres d’altitude,
là où la glace reste présente
toute l’année. Elles serpentent en
lacets serrés, laissant des dizaines de
traces de meurtrissures sur le flan des montagnes.
Lacets serrés, comptés
du bout des doigts, quel plaisir j’ai eu
à vous parcourir !
A chaque virage la route s’en
va plus loin, puis revient, après s’être
cachée dans un creux invisible, pour grimper
bien plus haut encore. De minuscules camions se
traînent lentement, plaqués sur la
montagne comme des timbres sur une lettre.
Je n’en ai vu de plus merveilleusement
déposées sur le toit du monde que
dans le nord de l’Inde, mais, cette fois-ci,
j’étais au volant, radieux, m’escrimant,
négociant les bosses et les fosses…
Colibri de Nazca, aux ailes frangées,
étudié par Maria Reiche
Macchu Picchu, forteresse inexpugnable, nimbée
de mystère
Longues montagnes andines aux sommets liserés
de blanc et de silence
Cimes crénelées du Huascaran,ou
le soroche vous guète quand vous vous en
approchez
Forêts amazoniennes habitées par
des hommes à plumes qui chassent à
la sarbacane les animaux sauvages
H aut lac, le plus haut et le plus grand du monde,
dont le nom amuse tellement les enfants
Chemins de fer qui conduisent vers les étoiles
et montent en avançant puis reculant pour
franchir la montagne
Hiéroglyphes mystérieux tracés
sur les rochers de Torros Muertos
Mystérieuse montagne, Misti, près
d’Arequipa, que l’on aperçoit
au loin, entre autres depuis le monastère
de Santa Catarina , vestige de l’époque
coloniale
Il n’y a pas que ces sites
célèbres qui m’ont émerveillé…
Il y a aussi tous ces autres moments privilégiés
faits de rencontres beaucoup plus simples.
Cet élevage de poulets,
le long de la côte, où cent mille
« pollos a la plancha » s’entassent
sur quelques mètres carrés ;
Cette villageoise qui a été si fière
de nous montrer sa production artisanale de petits
sifflets de terre cuite, réalisés
par les enfants du village;
Cette fillette, presque nue , qui à 5000
mètres d’altitude, s’est précipitée
vers notre voiture ;
Ce paysan qui est parti pour nous cueillir, sur
le flan de la montagne, quelques oranges de sa
production, 2 euros pour 30 kilos ;
Ces gens qui sont descendus du bus pour nous sortir
de l’ornière, alors que nous étions
embourbés, et qui nous ont attendus, un
peu plus loin, pour nous aider à nouveau
!
Il y a ces petits souffles rauques,
des flûtes de Pan qui se répondent,
et vibrent encore dans mes entrailles…
comme deux êtres souffrants qui s’interpellent
et dialoguent ;
comme deux gémissements qui glissent, sur
l’altiplano, entre les chunios, patates
piétinées quand il gèle au
petit matin, et les champs clairsemés de
blé ;
comme une musique, mais qui n’en est pas
vraiment une, parce qu’elle ne parle qu’
aux tripes,
qui change de rythme pour se faire encore plus
plaintive ;
comme le cri d’êtres qui ont toujours
su qu’ils ne s’en sortiraient jamais.
Et la mélodie fait couler les larmes,
agite l’esprit et le rêve
longtemps encore
el condor passa.
Comme le condor péruvien qui reste immobile,
en plein ciel, les ailes déployées,
tendues, beau et noble, contemplant de toute sa
hauteur la vie qui coule.
« écoute, gringa,
el condor pasa… »
« prends-moi avec toi à Lima, amiga
»
La chica marche vite, lui montre les sources
de agua caliente cachées dans les sables.
Ses trésors.
« qu’est-ce que tu vas faire à
Lima ?»
« à Lima, je vais devenir infirmière
», récite la chica. «
Je veux partir d’ici, je viens chez toi,
si tu veux, je sais nettoyer, tu sais, et faire
la cuisine. Ici, il n’y a pas d’université.
»
« t’as quel âge, chica ? »
»
« 13, mais tu sais, je sais faire plein
de choses.. »
« et tu n’aimes pas l’école
ici ? Tu fais quoi toute la journée ? »
« je vais à l’école,
puis a la banda, puis je travaille à la
maison, puis je fais mes devoirs ».
« c’est quoi, la banda ? »
« amiga, je chante et nous répétons
pour le défilé, tu sais.. »
« et pourquoi tu dois défiler, chica
? »
« por la patria, amiga. » La chica
la regarde d’un air étonné.
« chica, je n’habite pas à
Lima, dans deux jours, je repartirai très
loin ».
Son visage se creuse, son dos se penche
en avant.
La chica marche vite, elle ignore la gringa.
« écoute, el
condor pasa : los gringos font à manger,
la fiesta con pisco y pollo ! Combien sommes-nous
? Mi marido, y los chicos, et les cousins, les
tantes, les oncles, la grand-mère, les
voisins…»
« écoute, el condor pasa : la femme
de Toledo est belge, no lo sabia usted ?el gringo
répare l’électricité,
les maisons n’ont pas de fenêtres,
dans chaque baraque il y a une télé.»
« écoute, el condor pasa : sais-tu
qu’à Santa Teresa il y a une salle
de billard ?»
« écoute, el condor pasa : haut,
dans les neiges, la vie coule, il y a de minuscules
maisons en pierre, et de petits paysans aux visages
impassibles, qui troquent un sourire contre quelques
bananes. Nous avons eu droit à deux sourires,
car il nous restait peu de bananes.»
« écoute, el condor pasa : chaque
puente porte un nom»
« écoute, el condor pasa : dans le
désert de Paracas, la nuit il faisait froid
dans la voiture, et je ne sais pas pourquoi les
barques au large me faisaient peur et me fascinaient
à la fois.»
« écoute, el condor pasa : la vie
coule…»
« écoute, el condor pasa : laisse-moi
m’envoler. »« Abrochese el cinturon,
por favor.. »
« écoute, el condor pasa …
dans les casques ».
« Plus fort, plus fort, je n’entends
rien, il y a tellement de bruit dans l’avion.
»
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